Pendant plus de deux heures, jeudi, le passage de l’ex-directeur du FBI, limogé début mai par Donald Trump, devant la commission sur le renseignement du Sénat a tenu les Américains en haleine. Décryptage de cet épisode déjà historique avec Gary Schmitt, vice-président du Centre d’études stratégiques à l’American Entreprise Institute, un think tank proche du mouvement conservateur.
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Le témoignage de James Comey, jeudi, va-t-il faire évoluer l’enquête sur l’ingérence de la Russie dans l’élection américaine ?
L’audition devant le Sénat n’a pas éclairé les circonstances et le comportement du président Trump concernant cette investigation. Elle a plutôt amplifié la crise politique actuelle. Pourtant, Comey n’a rien révélé de nouveau, par rapport à son témoignage écrit qui avait été publié mercredi. On s’attendait à des précisions sur la façon dont le Président lui a intimé d’étouffer l’enquête sur son ancien conseiller Michael Flynn. Finalement, Comey a paru moins assuré sur la question que le document de mercredi ne le laissait penser. Il reste difficile d’estimer s’il y a eu, ou non, une volonté de Trump, de faire obstruction à la justice. Maintenant, beaucoup de spéculations vont émerger dans les médias sur ce que Comey a pu dire lors de l’audition à huis clos qui a suivi l'audition publique, jeudi.
Trump va-t-il réussir à détourner l’attention des Américains de cette affaire, maintenant que cette audition est passée ?
C'est très peu probable. Le Président a fait un mauvais calcul en limogeant Comey de la tête du FBI avec l'espoir de pouvoir influer sur l'enquête sur son entourage. Et en nommant, en plus, son remplaçant, Christopher Wray [qui doit encore être confirmé par le Sénat, ndlr] la veille de l'audition de Comey, Trump oblige le nouveau patron du FBI à être encore plus intransigeant sur l'indépendance de l'agence fédérale vis-à-vis de la Maison Blanche. Wray va être scruté sur sa gestion de l'investigation russe.
En parallèle, l’enquête du procureur spécial Robert Mueller, nommé le 17 mai, sur toutes les questions touchant aux tentatives de déstabilisation russes, se poursuivra au moins jusqu’en 2018. Année des prochaines élections de mi-mandat au Congrès. L’administration Trump devrait donc s’attendre à vivre, les prochains mois, au rythme des avancées de l’enquête. Bien que Mueller ne communiquera pas publiquement sur le sujet, les médias publieront, très sûrement, l’identité des différentes personnalités interrogées ou poussées à témoigner devant un grand jury, et les documents consultés.
Avez-vous été surpris par l’ampleur du risque de cyberattaques russes que Comey a décrit ?
Non, c’est un danger qui fait depuis longtemps consensus dans la communauté des services de renseignements. Nous savons que le Kremlin va mener de nouvelles campagnes de cyberattaques dans le futur contre des cibles américaines.
Pensez-vous qu’il y ait pu avoir collusion entre Donald Trump et les Russes ?
C'est, pour l'instant, impossible à dire. Le Président semblait, tout de même, très embêté par cette enquête sur l'ingérence de Moscou. Il aurait parlé de «nuage» qui l'empêcherait d'agir pour le bien de la nation, ce qui est compréhensible. Avec le battage médiatique qui entourait cette affaire, il a été difficile pour l'administration Trump d'agir librement, depuis le début de son mandat, et notamment d'améliorer les relations diplomatiques entre Moscou et Washington. Ceci considéré, il est très possible que Trump ait voulu mettre fin à cette enquête sur Michael Flynn car elle touche son entourage proche, et pourrait probablement l'atteindre à un moment.
Reste aussi en suspens la question des auditions des chefs des services de renseignements américains. Avant James Comey, mercredi, le comité du Sénat a interrogé Dan Coats, le directeur du Renseignement national et Mike Rogers, directeur de la NSA. Les deux hommes ont refusé de répondre aux questions des sénateurs qui leur demandaient si Trump les avaient enjoints d’interférer dans l’enquête sur la Russie. Sans donner de base légale à leur refus, Coats comme Rogers ont assuré qu’ils ne pouvaient répondre lors d’une audience publique et ont exigé une autorisation de la Maison Blanche pour le faire. L’administration Trump n’a pas encore réagi mais est coincée. Si elle refuse en invoquant le privilège exécutif, cela donnera l’impression qu’elle a quelque chose à cacher. Et si les deux hommes témoignent, même en audience à huis clos, leurs propos fuiteront très probablement dans la presse. Trump a donc encore de dures semaines devant lui.