La tragédie avait provoqué une vive émotion en Europe. Le 27 août 2015, alors que des milliers de réfugiés affluent sur le continent, 71 personnes sont retrouvées mortes dans le compartiment étanche d’un camion frigorifique abandonné sur la bande d’urgence d’une autoroute autrichienne, à Parndorf, à 11 kilomètres de la frontière hongroise. A l’intérieur du véhicule immatriculé en Hongrie, la police autrichienne découvre les cadavres de 59 hommes, huit femmes et quatre enfants dont un bébé de dix mois. Ils sont syriens, irakiens, iraniens, et afghans. L’entassement des corps et leur état de décomposition sont tel que les équipes médico-légales mettront une nuit entière à les dégager. Les victimes, prises en charge par des passeurs au sud de la Hongrie, non loin de la frontière serbe, sont mortes d’étouffement dans des conditions atroces.
La découverte du camion charnier, ainsi que celle, quelques jours plus tard, d'un enfant mort sur une plage turque, provoquent une onde de choc en Europe. «Nous sommes tous bouleversés par ces terribles nouvelles, réagit aussitôt Angela Merkel. Même les journaux allemands ultra-conservateurs appellent au soutien des réfugiés. En phase avec l'opinion publique de son pays, la chancelière prend l'initiative d'accueillir des centaines de milliers de fugitifs en Allemagne.
«1000 à 1500 euros»
Dans le box des dix accusés comparaissant ce mercredi à Kecskemét, neuf ressortissants bulgares et un citoyen afghan de 30 ans, chef présumé du gang de trafiquants. Ce dernier, Samsoor L., vivait depuis 2013 en Hongrie où il bénéficiait de la protection subsidiaire, un statut proche de celui de réfugié. Il disposait de la complicité de compatriotes établis en Serbie, qui lui adressaient des migrants transitant par ce pays.
D'après les enquêteurs, le réseau de trafiquants a généré d'importants profits en convoyant de février à août 2015 au moins 110 personnes à qui il était demandé «de 1000 à 1500 euros» chacune pour passer en Autriche. Les gains étaient rapatriés en Afghanistan.
Le crime est «d'une nature exceptionnelle» selon le parquet hongrois (l'affaire est jugée en Hongrie, lieu de décès des victimes selon les autopsies). Le jour même de la découverte du camion charnier, les trafiquants ont transporté un autre groupe de 81 migrants dans des conditions identiques ; ces derniers ont échappé de peu à la mort en défonçant la porte du camion.
Le procès s'ouvre sur une controverse. La police hongroise aurait-elle pu empêcher le drame ? C'est ce que soutiennent des journalistes d'investigation allemands du Süddeutsche Zeitung et des chaînes NDR et WDR qui ont eu accès aux transcriptions des écoutes. La police magyare avait en effet repéré les trafiquants dès juillet 2015 et les avait mis sur écoute 13 jours avant le drame.
«Pas question d’ouvrir la porte du camion»
Le matin de la tragédie, à 6h16, le chauffeur du camion, qui roule encore en Hongrie, appelle un complice bulgare. «Ils font un boucan pas possible à l'arrière. A la frontière, la police risque de les entendre, qu'est-ce que je fais ?» Le complice appelle alors le chef afghan qui donne ses ordres : «Pas question d'ouvrir la porte du camion […] ni de leur donner de l'eau. Dis [au chauffeur] de continuer. Et s'ils meurent, dis-lui de se débarrasser des corps dans la forêt, en Allemagne».
Mais si la police enregistrait bien ces conversations, qui ont eu lieu en pachtoun, en bulgare et dans un dialecte serbe, elle ne les écoutait pas en live. «Les autorités hongroises n'ont pu faire traduire et analyser ces informations qu'après la découverte du crime» a indiqué à Libération Gabor Schmidt, porte-parole du parquet de la région de Bacs-Kiskun. D'après les données recueillies les jours précédents, rien n'indiquait que les migrants étaient en danger de mort. «Les autorités hongroises n'auraient pas pu empêcher ce crime, vu le déroulement extrêmement rapide des événements» ajoute Gabor Schmidt.
Le procès devrait durer au moins jusqu’au 30 juin. Aujourd’hui, les chefs d’inculpation retenus sont : trafic d’êtres humains, crime en bande organisée, et assassinat commis avec une extrême cruauté. Des crimes passibles de 30 ans de prison, voire de détention à vie.