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Libération
Rif

Au Maroc, la monarchie manie la carotte et le bâton

Dimanche, le roi a sermonné ses ministres pour le retard pris dans le développement de la ville d'Al Hoceïma. Le lendemain, la manifestation des habitants de cette même ville a été réprimée par la police.
Manifestation à Al Hoceïma, au Maroc, le 11 juin 2017. (Photo AFP)
publié le 27 juin 2017 à 17h41

La fin du ramadan n'aura pas éteint les tensions à Al Hoceïma. Lundi, la manifestation du Hirak – le mouvement de contestation qui agite la ville depuis huit mois - prévue pour l'Aïd el-Fitr a été dispersée par les forces de sécurité à coups de matraque. La police marocaine avait bloqué les accès routiers de la cité côtière afin d'empêcher que les habitants des villages voisins du Rif ne viennent gonfler les rangs du rassemblement.

La principale revendication des protestataires est désormais la libération des militants arrêtés ces dernières semaines. Lundi après-midi, une partie des manifestants ont remonté l’avenue Mohammed V et le boulevard Hassan II, les deux artères principales d’Al Hoceïma, avant d’être chargés par les policiers.

«Ça a été un vrai désastre : ils frappaient les femmes et les enfants, et ces images-là [des vidéos circulent sur les réseaux sociaux, ndlr] vont leur causer de sérieux problèmes, les gens sont choqués, témoigne Nasser (1), membre du Hirak présent dans la rue ce lundi. J'ai vu des blessés. Je ne pouvais plus respirer ni rien voir tellement ils ont noyé la rue sous les lacrymogènes. Heureusement, un riverain m'a ouvert sa porte.»

D'après un avocat d'Al Hoceïma, «une centaine de personnes a été arrêtée» pendant les heurts de lundi. Une partie a été relâchée ce mardi matin, sans que les autorités ne communiquent de chiffres officiels. «Il y avait environ 3 000 à 5 000 manifestants dans les rues, en plusieurs groupes, estime-t-il. Ça risque maintenant de dégénérer à tout moment tant les citoyens continuent de sortir et tant les forces de l'ordre les empêchent de manifester.» Des militaires et des policiers venus de tout le royaume quadrillent Al Hoceïma depuis un mois pour étouffer le mouvement de protestation.

La veille, pour la première fois, Mohammed VI avait pourtant donné des signes de compréhension à l'égard des revendications du Hirak. A l'issue d'un Conseil des ministres, un communiqué du Palais a indiqué que le roi avait fait part de «sa déception, son mécontentement et sa préoccupation» pour le retard qu'accuse le programme de développement «Manarat Al Moutawassit» (2015-2019). Ce plan, dédié à la ville d'Al Hoceïma et doté d'une enveloppe de 600 millions d'euros, répondrait à «90%» aux demandes des contestataires, selon le cabinet royal. Les ministres ont même été privés de vacances estivales afin «d'assurer le suivi des projets».

Ces dernières quarante-huit heures, la stratégie du Palais vis-à-vis de la révolte du Rif semble donc se dessiner : les doléances sociales (infrastructures, emploi, éducation) seront satisfaites et Mohammed VI est prêt à s'impliquer personnellement dans le dossier, mais la contestation «politique» doit cesser. Elle ne sera pas tolérée par la monarchie : la répression des rassemblements de lundi l'a montré. Le Hirak a beau faire de la libération des militants emprisonnés un préalable à toute discussion, le roi ne veut pas donner l'impression de faire des «concessions» aux Rifains. Au Maroc, le souverain peut certes entendre les doléances de ses sujets, mais certainement pas négocier avec eux.