Theresa May a payé. Elle s’est acheté une majorité au Parlement et un petit peu de temps. Mais le prix à payer est bien plus élevé que le gros milliard de livres sterling (environ 1,1 milliard d’euros) promis au parti unioniste nord-irlandais, le DUP, pour des investissements en Irlande du Nord.
Avec cette somme, elle a acheté les dix voix du DUP au parlement, et donc la possibilité de gouverner avec un semblant de majorité. Son programme législatif, présenté la semaine dernière lors du «discours du Trône», devrait recevoir la confiance d’une majorité des députés de la Chambre des communes lors d’un vote jeudi. C’est toujours ça de gagné.
Mais la Première ministre conservatrice est désormais une otage. La rançon payée risque d’augmenter significativement et les dommages collatéraux pourraient se révéler terribles.
Pas de soutien systématique au gouvernement
Comment expliquer cette manne sortie d’un chapeau au reste du pays, secoué par une élection au résultat ambigu, quatre attaques terroristes en quatre mois et un tragique incendie, Grenfell Tower, dont les répercussions politiques, encore à venir, pourraient être violentes ? Sans parler des négociations sur le Brexit qui fragilisent et divisent le pays.
L’accord signé avec le Democratic Unionist Party ne constitue pas une coalition. Il s’agit uniquement d’un accord formel de confiance, sur deux ans. Surtout, il n’entraîne pas un soutien systématique à toutes les initiatives du gouvernement. Ce qui, du coup, laisse la porte ouverte à des demandes de fonds supplémentaires en échange d’un vote.
Paix fragile en Irlande du Nord
Les autres régions du Royaume-Uni, le Pays de Galles, l’Ecosse, ont déjà rugi. Le gouvernement n’a officiellement pas renoncé à sa politique économique d’austérité. Le milliard consacré aux infrastructures, à la santé et à l’éducation en Irlande du Nord passe mal, d’autant qu’il s’agit déjà de la région la plus dotée du pays en fonds de l’Etat.
Cet accord risque aussi de compromettre la paix fragile en Irlande du Nord. Le Sinn Féin, l'autre parti important dans la province, a jugé le processus de paix «en danger». Les partis nord-irlandais sont déjà à couteaux tirés et ont jusqu'à vendredi pour trouver un accord de gouvernement. En cas d'échec, la gestion de l'Irlande du Nord retombera entre les mains de Londres.
Une fois de plus, comme avec les élections qu’elle pensait remporter haut la main, Theresa May a fait preuve d’une certaine arrogance. Elle pensait qu’un accord avec le petit DUP insignifiant ne serait qu’une formalité. C’était oublier que ce parti, comme tous ceux d’Irlande du Nord, a une longue, très longue expérience des négociations. Ce n’est qu’après deux semaines de discussions, de menaces plus ou moins voilées d’échec, qu’elle a pu annoncer cet accord. A peine 48 heures avant un vote crucial au parlement dont dépendait sa survie.
Malaise
Au sein même des tories, le malaise est palpable tant l’accord avec le DUP, dont certaines positions sont radicales, notamment sur l’avortement ou l’homosexualité, en gêne certains.
Mais les conservateurs sont aussi terrifiés à l'idée de lâcher le pouvoir entre les mains du travailliste Jeremy Corbyn. Cette perspective, impensable il y a encore trois mois, est aujourd'hui palpable. Il suffisait pour cela de voir le week-end dernier le leader du Labour, sur scène au festival de Glastonbury, acclamé telle une rock star par la foule. Difficile d'imaginer Theresa May dans cette position. Mais c'est pour cette raison qu'elle demeure en place. Parce que personne d'autre au sein du parti tory, ne paraît, à l'heure actuelle, en position de la remplacer. Après tout, pourquoi ne pas lui laisser finir le sale boulot : les négociations sur le Brexit ?
Juste avant les élections du 8 juin, pendant un rare échange avec le public lors d'une émission télévisée, Theresa May avait répondu sèchement à une infirmière qui se plaignait, en larmes, de n'avoir reçu aucune augmentation de salaire depuis huit ans : «Il n'existe pas d'arbre magique que l'on puisse secouer pour en faire tomber de l'argent.»
Il semble qu’après tout, cet arbre magique existe bien, quelque part, au moins pour le DUP et l’Irlande du Nord. Theresa May risque de devoir expliquer rapidement où poussent ces arbres. Aux infirmières, aux familles des victimes de l’incendie de la Grenfell Tower, rénovée avec un revêtement inflammable mais peu cher, ou aux usagers, de plus en plus nombreux au Royaume-Uni, des banques alimentaires. Elle est otage et en sursis.