«La pression est énorme», répète le ministre italien de l'Intérieur, Marco Minniti, pour décrire la situation migratoire sur les côtes siciliennes : environ 85 000 personnes ont débarqué depuis le début de l'année dans les ports du sud de la péninsule, soit une hausse de 18 % par rapport à la même période l'an passé. En réaction, Rome met la pression sur ses partenaires européens. A la veille d'une réunion des ministres de l'Intérieur et de la Justice de l'Union européenne, prévue ce jeudi à Tallinn, en Estonie, le gouvernement de Paolo Gentiloni a multiplié les initiatives diplomatiques et médiatiques. La semaine dernière, il a tapé du poing sur la table en menaçant de bloquer l'entrée de ses ports aux bateaux transportant des migrants secourus en Méditerranée et battant pavillon étranger. En clair, aux embarcations des multiples ONG qui croisent au large de la Libye pour récupérer les passagers des navires de fortune et éviter les naufrages (lire ci-contre). Plus de 2 200 personnes sont déjà mortes en Méditerranée centrale depuis le début de l'année, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Douze disparus par jour.
Goutte d’eau
Ceux qui parviennent à atteindre l'Italie trouvent des centres d'accueil saturés. «La situation a atteint la limite du supportable», a écrit le gouvernement dans une lettre adressée au commissaire européen chargé de l'Immigration, Dimitri Avramopoulos. La situation n'a pourtant rien de comparable avec celle de 2015, qui avait vu l'arrivée en Europe de plus d'un million de personnes, pour la plupart venues de Syrie et passant par la route balkanique. Mais cette dernière a pratiquement été fermée et c'est désormais en Méditerranée, à partir de la Libye, que s'effectuent la plupart des traversées. En 2016, l'Italie a ainsi accueilli 181 000 migrants. «Nous ne sommes pas face à une invasion», s'efforce de relativiser l'ancienne commissaire européenne Emma Bonino, qui souligne régulièrement que non seulement les arrivées ne représentent qu'une goutte d'eau par rapport aux 500 millions d'Européens (moins de 0,04 %) mais que la péninsule, qui a perdu près de 90 000 habitants l'an passé en raison de sa crise démographique, serait bien avisée de les accueillir.
Il n’empêche, sous la pression de la xénophobe Ligue du Nord, de la presse de droite et dans une certaine mesure du Mouvement Cinq Etoiles, la question migratoire empoisonne le débat politique transalpin. Début juin, lors des élections municipales partielles, la très grande majorité des 400 maires qui ont adhéré au programme gouvernemental de répartition des réfugiés sur le territoire (3 pour 1 000 habitants) ont subi une claque électorale. Comme Giusi Nicolini, l’emblématique maire de Lampedusa, éliminée dès le premier tour.
A lire aussi Réfugiés : le mauvais procès fait aux ONG
Selon un récent sondage, seul un Italien sur quatre est favorable à l'accueil des immigrés arrivés dans le sud du pays. D'autant qu'une bonne partie des migrants renoncent désormais à poursuivre leur voyage vers la France, la Suisse ou l'Autriche. «La plupart des personnes arrivées en Italie ces derniers mois viennent d'Afrique de l'Ouest, souligne Flavio Di Giacomo, porte-parole de l'Organisation internationale des migrations. A la différence des Syriens ou des Erythréens, ils ne cherchent pas à tout prix à continuer leur voyage vers le nord de l'Europe.»
Abandon
Dans le même temps, les voisins de l'Italie contrôlent de plus en plus leurs frontières. «[Les points de passage de] Ventimille, du col du Brenner et de Chiasso ont été bouclés», a ainsi pointé Loris De Filippi, président de MSF-Italie. Lundi, le ministre autrichien de la Défense, Hans Peter Doskozil, a même annoncé que Vienne comptait «très bientôt» déployer l'armée pour un meilleur contrôle des frontières avec l'Italie si l'afflux de migrants devait ne pas ralentir. Rome a immédiatement convoqué l'ambassadeur autrichien.
A l'approche des législatives d'octobre, l'annonce de Vienne apparaît avant tout comme de la gesticulation politique. Mais elle renforce le sentiment d'abandon de Rome alors que le projet de «relocalisation» des demandeurs d'asile adopté en 2015 par le Conseil européen, qui visait à répartir les migrants dans les Etats membres, est quasiment au point mort. La semaine dernière, Angela Merkel et Emmanuel Macron se sont dits prêts à mieux soutenir l'Italie. A la suite d'un mini-sommet tripartite sur la question, dimanche à Paris, les journaux italiens voulaient croire qu'un «pacte» migratoire était en vue. Mais le lendemain, Paris a douché les attentes transalpines en refusant, comme Madrid, d'accueillir des bateaux de migrants dans ses ports.
La balle est repassée dans le camp de la Commission européenne, dont le plan d’action doit être présenté à Tallinn. Le document prévoit de renforcer les capacités des gardes-côtes libyens et d’aider l’Italie en augmentant la contribution des Etats membres au fonctionnement des «hotspots» - où sont enregistrés les migrants à leur arrivée en Europe. De son côté, la France s’est engagée à accélérer la relocalisation en prenant en charge 200 demandeurs d’asile par mois, au lieu de 50 actuellement.