Accueil militaire en grande pompe sur la place Horse Guards Parade et carrosses royaux pour leur arrivée au palais de Buckingham : la reine Elizabeth II a sorti le grand jeu, ce mercredi, pour accueillir le roi d’Espagne Felipe VI et sa femme, la reine Letizia. Mais sous le vernis clinquant du protocole monarchique, la visite de trois jours du couple royal espagnol pourrait être tendue.
Los Reyes, en Buckingham Palace. Viaje de Estado al Reino Unido. #SpainStateVisit #VisitaalReinoUnido https://t.co/MY6fZIo2kZ pic.twitter.com/vjQ808PYHG
— Casa de S.M. el Rey (@CasaReal) July 12, 2017
La rencontre avait été repoussée à deux reprises, une première fois à cause des difficultés espagnoles à former un gouvernement, en mars 2016. Et une seconde fois suite aux élections législatives anticipées déclenchées par la Première ministre britannique Theresa May. Entre-temps, le référendum sur le Brexit a changé la donne entre les deux pays, notamment à cause de la question de Gibraltar.
Statut spécial
Mercredi, dans un discours face au Parlement britannique, le roi d'Espagne a soulevé le sujet qui fâche : Gibraltar. Cette enclave britannique de 6,5 kilomètres au sud de l'Espagne est au cœur des crispations entre les deux pays après sa conquête par le Royaume-Uni en 1713. Depuis le Brexit, l'Espagne n'a fait que réaffirmer ses vues sur le «rocher», au point d'être accusée par des députés britanniques conservateurs d'en profiter pour tenter de le récupérer.
Dans des négociations sur les futures relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni déjà compliquées, le cas particulier de Gibraltar est un casse-tête. Le potentiel départ du Royaume-Uni du marché unique pose la question du statut de la dernière enclave britannique de l'UE et des 30 000 citoyens espagnols qui vont y travailler chaque jour. Si le Brexit est dur, l'économie de Gibraltar pourrait fortement en pâtir. Alors, l'Espagne, qui a toujours cherché à «restaurer [son] intégrité territoriale», voit dans le Brexit l'occasion de faire bouger les lignes.
Dans ses recommandations sur les négociations, le Conseil de l'Europe lui a même donné un droit de véto sur le futur statut de Gibraltar. L'occasion était donc trop belle pour le roi Felipe VI qui, en septembre 2016 devant les Nations unies, avait déjà qualifié Gibraltar d'«anachronisme colonial» avant d'appeler à une rétrocession négociée du rocher. Ces appels du pied répétés ne passent pas outre-Manche. En signe de contestation, certains membres du Parlement avaient même prévu de quitter la chambre des Lords au moment du discours du monarque espagnol. La menace n'aura finalement pas été mise à exécution.
Poil à gratter
Felipe VI s'est dit prêt à entamer le «dialogue nécessaire» avec le Royaume-Uni pour parvenir à un accord sur le statut de ce gros rocher. «Je suis sûr que le dialogue et les efforts de nos gouvernements permettront d'avancer dans la recherche d'un arrangement satisfaisant pour tous», a-t-il déclaré lors de son discours. Comme à l'accoutumée sur le sujet, les réactions côté britannique ont été épidermiques. «Il est inapproprié pour un chef d'Etat en visite de parler d'un "arrangement" à propos d'un territoire britannique. Cela ne le regarde pas», s'indigne Andrew Rosindell, député conservateur. Et d'ajouter : «Le roi doit comprendre qu'il n'y aura jamais de discussion avec lui qui mènera à la cession du moindre centimètre de Gibraltar.»
Très attaché à son appartenance à la couronne britannique, mais en même temps régi par un gouvernement indépendant, le rocher a lui aussi réagi aux propos du roi Felipe VI. Fabian Picardo, ministre en chef de Gibraltar, a répondu que c'était aux Gibraltariens de décider de leur propre futur et non pas au gouvernement de Madrid ou de Londres. Or, en 2002, ses habitants avaient déjà rejeté à 98,9 % un rattachement à l'Espagne.