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Libération
Dégâts miniers

L’indemnisation d’une commune: une mine d’inspiration

En Moselle, une commune vient d’obtenir de la justice 6 millions d’euros de dédommagements suite aux importants dégâts miniers qu’elle a subis. Un jugement qui pourrait en précéder d'autres.
Au plus bas, le sol s’est affaissé de 16 mètres, et à certains endroits, il accuse une inclinaison de 3%. (Photo JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN. AFP)
publié le 13 juillet 2017 à 17h50

Dans le bassin houiller lorrain, cela fait bien longtemps qu'aucun ouvrier ne descend plus à la mine. Pourtant, le charbon continue de noircir le tableau pour plusieurs communes. Rosbruck, surnommée par les médias locaux «la bancale» ou le «village penché», est en conflit depuis quatorze ans avec Charbonnages de France, placé en liquidation judiciaire depuis, qui a exploité les gisements situés sous le village jusqu'en 2003. «Une bataille titanesque», estime son maire, Pierre Steininger, qui ressent désormais la «satisfaction de la sagesse» : le 30 juin dernier, la chambre civile du tribunal de Sarreguemines a condamné la société - donc l'Etat, à qui les biens, droits et obligations de l'entreprise ont été transférés - à verser 5,9 millions d'euros pour les dégâts survenus par affaissement de terrain.

En 2006, le Fonds de garantie des assurances obligatoires verse 126 000€ aux propriétaires pour leur résidence principale. Au plus bas, le sol s'est affaissé de 16 mètres, et à certains endroits, il accuse une inclinaison de 3%. «Sur une longueur de 12 mètres, vous avez 36 centimètres de pente. Les portes s'ouvrent toutes seules. Nos maisons comptent trois ou quatre gouttières parce que les eaux pluviales ne s'écoulent pas dans le bon sens», énumère Pierre Steininger. Plusieurs bâtiments communaux sont également touchés.

La bataille judiciaire contre l'entreprise minière commence en 2005, et la dernière estimation, dix ans plus tard, chiffre les dégâts à 8,6 millions d'euros. «Il y a un delta de 2,7 millions [par rapport à la condamnation de juin, ndlr]. Mais nous ne souhaitons pas faire appel, confie le maire, qui en a fait le combat de son mandat. On en a marre ; dans cette affaire, l'autre partie a tout essayé pour rallonger la procédure dans l'optique de nous décourager», évoquant de multiples reports, des demandes d'investigation supplémentaire, des ouvertures du béton pour examiner les réseaux en sous-sol.

«Un effet de cliquet»

«C'est la première fois qu'une collectivité est indemnisée à cette hauteur, se réjouit Me Xavier Iochum, qui plaide pour la commune mosellane. Il est important de signaler que la cour a retenu plusieurs préjudices.» Le préjudice matériel d'une part, mais aussi les préjudices psychologiques, fiscaux et d'images. Une expertise psychiatrique avait ainsi déterminé qu'une habitante subissait un malaise physique et psychique dû à l'inclinaison de son logement. Quant à l'argument fiscal, le village a vu sa population chuter de 1018 habitants dans les années 90 à 790 aujourd'hui. «Evidemment il y a une crise démographique dans la région, concède Pierre Steininger. Mais nous avons également dû détruire 75 maisons, sans compter le déficit d'image.»

La délibération du tribunal pourrait dépasser les quelque 141 ha de la petite municipalité. «Cette appréciation du juge est incitative et pourrait avoir valeur de jurisprudence, s'enorgueillit Me Iochum. Je défends également des particuliers sur la région et je compte bien avoir des exigences au diapason de cette décision.»

A une trentaine de kilomètres de là, Falck subit également un préjudice. Les dégâts sont d'une toute autre nature, puisque l'exploitation minière par Charbonnages de France n'a pas exploré le sous-sol de la commune. Lorsqu'un exploitant stoppe son activité, le pompage de l'eau cesse également, l'eau s'infiltre alors dans les galeries, pousse sur les nappes phréatiques. Un tel phénomène peut acidifier la nappe phréatique, modifier les sols et provoquer des inondations. La commune, sinistrée à 75%, soit la part de terrain devenu inconstructible, s'est vue refuser deux permis de construire par la préfecture. Une décision de justice doit être rendue le 7 septembre.

«Si on n'obtient pas gain de cause, on attaquera Charbonnages de France, prévient Pascal Rapp, le maire. Je viens de faire construire un lotissement avec toutes les autorisations d'urbanisme et on vient m'imposer des prescriptions contraignantes en bout de course.» Les propriétaires ne pourront pas disposer d'une cave et l'accès au garage sera impossible depuis la route. «Une multitude de gens ont abandonné l'acquisition des terrains. En l'absence d'acheteurs, il m'est impossible de rembourser les travaux.» 600 000 euros sont encore à la charge du village. Quant à ceux qui songeaient à partir, leur bien a dévalué, et des acquisiteurs ont déjà annulé une vente.

D'autres édiles partagent ce combat sur le pays de Forbach. Gilbert Schuh, maire de Morsbach prévient : «La décision du tribunal a clairement un effet de cliquet. Cela nous rassure car si nous devions aller au contentieux, nous serions plus confiants car nous pensons être mieux entendus.» Le village voisin, Creutzwald, subit déjà l'inondation de plusieurs jardins et caves. Si pour le moment les habitants n'ont pas reçu d'indemnisation, l'édile, Jean-Luc Wozniak, veut voir dans le dénouement de l'affaire de Rosbruck un signe de bon augure : «C'est un peu du tir à la corde entre les collectivités et l'Etat, mais ce jugement prouve que le dialogue est encore ouvert.»