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Brésil

Malgré sa condamnation, Lula pense toujours à la présidentielle

Condamné à neuf ans et demi de prison, l'ex-président espère encore se présenter à la présidentielle de 2018. Icône de la gauche, il est toujours en tête des sondages avec 30% des intentions de vote.
L'ex-président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, le 1er juin 2017 à Brasilia (Photo EVARISTO SA. AFP)
par Chantal Rayes, Correspondante à São Paulo
publié le 13 juillet 2017 à 16h18

Neuf ans et demi de prison pour corruption et blanchiment d'argent. «Neuf, comme le nombre de doigts de Lula», qui a perdu un auriculaire dans un accident du travail, du temps où il était ouvrier tourneur. C'est la blague douteuse de la droite brésilienne, qui exulte après la condamnation, le 12 juillet, de l'ancien président du Brésil (2003-2010) par le juge Sergio Moro, en charge de l'affaire Petrobras, le groupe pétrolier contrôlé par l'Etat brésilien et pillé par les principaux partis, via des contrats surfacturés avec le secteur du BTP. Luiz Inácio Lula da Silva serait le véritable propriétaire d'un triplex en bord de mer construit et luxueusement équipé par le groupe du bâtiment OAS : un supposé renvoi d'ascenseur en échange de juteux contrats de l'entreprise avec Petrobras. Néanmoins, le juge de première instance a préféré éviter un «traumatisme» au pays en n'arrêtant pas l'icône de la gauche latino-américaine, qui fera donc appel en liberté. Cette sentence attendue porte un coup dur à l'image de l'ex-leader syndical, comme à ses ambitions de revenir au pouvoir, après la destitution l'an dernier de sa dauphine Dilma Rousseff.

Au faîte de sa popularité (83% d’opinions favorables, du jamais vu) lorsqu’il a quitté le pouvoir, l’ancien président, 71 ans, a certes vu son prestige terni par ce scandale tentaculaire, qui aurait commencé sous son mandat. Cela ne l’empêche pas de caracoler en tête des sondages pour la présidentielle de 2018, avec 30% des intentions de vote, même s’il souffre aussi d’un fort rejet. Lula est un symbole, celui de l’affirmation des couches populaires, qui l’adorent. Très sélectivement indignée par la corruption – qui n’épargne pas son camp politique, loin s’en faut - la droite, elle, l’exècre et fait de sa mise hors-jeu une obsession. Convaincus qu’il abandonnerait l’orthodoxie économique s’il revenait au pouvoir, les milieux d’affaires ont salué la décision du juge par une hausse de 1,57% de la Bourse de São Paulo, mercredi.

«Aucune preuve»

Il est désormais le premier ex-chef d'Etat brésilien condamné pour corruption. Ses partisans dénoncent un acharnement judiciaire pour empêcher son retour au pouvoir. «Il n'y a aucune preuve contre lui, martelait le mois dernier son avocate, Valeska Teixeira, lors d'une rencontre avec la presse étrangère. Tous les témoins entendus l'ont blanchi.» Et d'accuser Sergio Moro de «partialité». «C'est une condamnation éminemment politisée, renchérissait mercredi la présidente de sa formation, le Parti des travailleurs (PT), Gleisi Hoffmann. Le but exclusif de Moro est de satisfaire l'opinion publique.» La stratégie déclarée de ce juge très populaire du tribunal de Curitiba, dans le sud du pays, est en effet de gagner le soutien de l'opinion en révélant les faits de corruption, pour condamner plus facilement les puissants.

Légalement, seule une condamnation en appel est à même d’empêcher Lula de se porter candidat à la présidentielle de 2018. Son avenir politique est donc désormais aux mains du tribunal de deuxième instance de Porto Alegre. Ses avocats caressent l’espoir de voir cette cour revenir sur le verdict de Moro, comme elle l’a fait en acquittant l’ex-trésorier du PT, João Vaccari Neto.

«Victime»

Pour autant, les ennuis judiciaires de l'ancien président, inculpé dans quatre autres affaires de corruption, ne devraient pas cesser de sitôt. Condamné ou pas, il ne serait moralement plus en mesure de candidater, plaident certains. Ce n'est pas l'avis de son parti, où Lula n'a plus d'héritier «compétitif», tous ayant été balayés par les affaires. Quant à l'écologiste Marina Silva, alternative crédible à la gauche de gouvernement, elle a claqué la porte du PT et figure elle-même en deuxième place (15%) dans les intentions de vote pour l'an prochain. Pour elle, la condamnation de son ex-mentor serait la preuve que «nul n'est au-dessus des lois».

Pour Peter Hakim, président émérite du think tank Inter-American Dialogue, basé à Washington, c'est désormais l'impartialité de la justice brésilienne qui est mise à l'épreuve. «Quand bien même Lula serait réellement coupable, cette sentence pourrait au contraire le renforcer, en le faisant passer pour victime d'une injustice, au cas où ses adversaires ne seraient pas condamnés à leur tour», réagit ce connaisseur du Brésil auprès du site de la BBC en portugais. Et de souligner que des indices «plus graves encore» de corruption pèsent contre des figures politiques de premier plan, tel le sénateur de droite Aécio Neves (Parti de la social-démocratie brésilienne) – toujours pas inquiété pour autant – ou encore, le président Michel Temer (Parti du mouvement démocratique brésilien) lui-même. Temer est le gagnant immédiat de la condamnation de Lula, qui permet de détourner l'attention du public alors que le Parlement doit décider d'autoriser ou non sa mise en accusation formelle par la cour suprême.