Mitch McConnell n'a pas réussi à résoudre son Rubik's Cube. Le chef de la majorité républicaine au Sénat avait comparé au célèbre casse-tête multicolore la négociation pour tenter de mettre d'accord sa majorité républicaine sur la réforme de santé. Déjà mal engagé, le vote de ce texte, surnommé «Trumpcare», a été condamné, au moins temporairement, par la défection de deux sénateurs républicains supplémentaires lundi. Un gros revers pour Donald Trump, qui avait promis, pendant toute la campagne, d'abroger, «dès le premier jour» de sa présidence, l'Obamacare, la réforme de l'assurance santé de son prédécesseur.
Euphémisme. Pour voter ce texte, le camp républicain avait en effet besoin de la majorité, soit au moins 50 voix sur les 52 sièges qu'il possède au Sénat, plus celle du vice-président, Mike Pence, pour faire pencher la balance en cas d'égalité. Or, avant même les désistements de lundi, deux autres sénateurs du GOP avaient déjà annoncé qu'ils s'opposaient à l'examen de ce texte. Le vote de la loi, qui devait avoir lieu ces jours-ci, a été annulé. Lundi, McConnell a reconnu son échec par un curieux euphémisme : «L'effort pour abroger et remplacer l'Obamacare et ses défaillances ne sera pas couronné de succès».
De son vrai nom «Better Care Reconciliation Act», la proposition de loi républicaine avait été votée, difficilement déjà, à la Chambre des représentants en mai. Promesse de campagne de Trump, cheval de bataille des républicains depuis près de sept ans, elle devait abroger et remplacer l’Obamacare, ou l’ACA, pour Affordable Care Act. Cette réforme emblématique de la présidence de Barack Obama, qui a permis à 20 millions d’Américains, auparavant sans protection, de souscrire une assurance santé, avait conduit à deux changements majeurs : d’abord, interdire aux assureurs privés de faire payer plus cher voire de refuser de couvrir des Américains avec des antécédents médicaux, ce qui était l’usage. Elle a également permis d’étendre le «Medicaid» aux Américains juste au-dessus du seuil de pauvreté. Ce programme cofinancé par Washington et les Etats fournit aujourd’hui une assurance maladie à plus de 70 millions d’Américains aux faibles revenus.
Si seulement quatre sénateurs républicains ont affiché ouvertement leur opposition au texte, de nombreux autres ont exprimé leur malaise. La majorité de droite a désormais deux solutions : réécrire une énième version du texte, ce qui semble fortement compromis au vu des tiraillements internes, ou bien tenter une réforme a minima pour corriger les défauts de l'Obamacare, qui pourrait éventuellement remporter des voix démocrates. Trump, a de nouveau passé ses nerfs sur Twitter : «Les républicains devraient simplement ABROGER cette faillite de l'Obamacare dès maintenant et travailler à une nouvelle loi santé qui partirait d'une page blanche. Les démocrates seraient avec nous !»
Le leader de la majorité républicaine au Sénat a aussi proposé d’abroger purement et simplement l’ACA. Une mesure qui n’a quasiment aucune chance de passer, tant elle laisserait des millions d’Américains sans couverture. Et les marchés des assurances dans la tourmente. Les raisons de l’opposition des républicains sont très diverses. Pour les plus conservateurs, qui considèrent que l’Etat fédéral n’a pas à interférer dans les affaires des Etats et que le coût des subventions pour financer les assurances est trop élevé, le Trumpcare ne va pas assez loin. Pour d’autres, il s’agit de corriger les variations des montants des franchises pour les assurés, notamment ceux des classes moyennes. Les plus modérés, eux, sont surtout effrayés par la baisse drastique des financements consacrés au Medicaid, qui laisserait des millions d’Américains sans protection santé. Cela ne signifie pas pour autant que les républicains opposés au Trumpcare ne souhaitent pas réformer en profondeur le système de son prédécesseur.
«Agitation». «Les critiques des républicains se sont majoritairement portées sur la volatilité du marché des assurances santé, décrypte Matthew Fiedler, chercheur au Center for Health Policy de la Brookings Institution, think tank basé à Washington. Avec les plans plus généreux créés par l'ACA, permettant à beaucoup plus d'Américains d'être couverts, le prix des franchises s'est retrouvé plus élevé pour certaines catégories de personnes, qui l'ont légitimement mal vécu. En parallèle, les assureurs, qui manquaient de visibilité à l'époque, ont d'abord établi des franchises trop basses. Leur réévaluation à la hausse était inévitable, et forcément désagréable.» Mais pour cet ancien membre du conseil économique de la précédente administration, «les républicains se sont servi de cette agitation des marchés de l'assurance pour nourrir leur critique, qui est avant tout idéologique : par principe, ils n'aiment pas l'idée que l'Etat fédéral soit aussi intrusif dans la gestion des Etats».
La décision des deux sénateurs, lundi, est intervenue après une intense journée de mobilisation des anti-Trump. «L’ironie dans tout ça, relève Matthew Fiedler, c’est que plus les républicains veulent l’abroger, plus l’Obamacare devient populaire».