D'après un rapport intitulé «A Region at Risk: The Human Dimensions of Climate Change in Asia and the Pacific» («Une région en péril: les dimensions humaines du changement climatique en Asie et dans le Pacifique»), publié le 14 juillet, le changement climatique tel qu'il s'opère en ce moment pourrait avoir des effets désastreux et sans précédent dans la région Asie-Pacifique. Ceci se traduirait en partie par une augmentation de six degrés de la température sur l'ensemble du continent d'ici la fin du siècle. Dans certains pays comme le Tadjikistan, l'Afghanistan, le Pakistan, et le nord-ouest de la Chine, les températures pourraient même croître de huit degrés. Toujours d'après l'étude, ces hausses successives devraient causer des changements importants allant jusqu'à mettre en danger la stabilité nationale et internationale des Etats. En effet, les pays d'Asie et du Pacifique, qui abritent les deux tiers de la population mondiale, seront sujets à des typhons plus violents, des précipitations plus fréquentes et plus abondantes, ainsi qu'à une élévation du niveau de la mer. Autant de facteurs qui auront des effets négatifs sur la croissance, la sécurité alimentaire, la biodiversité et les migrations écologiques, s'inquiètent les auteurs de l'étude.
Pour amoindrir l'impact du changement climatique, la Banque asiatique de développement et le PIK (Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique), qui ont collaboré pour la réalisation de ce rapport, soulignent l'importance de la mise en place des engagements pris lors des accords de Paris. Kira Vinke, chercheuse au PIK, revient pour Libération sur cette étude.
Pourquoi ce rapport est-il si important ?
Car il donne une vision globale de ce que va devenir la région Asie-Pacifique si on continue dans ce sens. Mais aussi et surtout parce qu’il évoque très concrètement, et sous plusieurs aspects, les dimensions humaines du changement climatique. Par exemple les problèmes de forte chaleur, de cyclones tropicaux, de précipitations, d’élévation du niveau de la mer, ou encore les effets sur l’agriculture et la sécurité. Les ressources énergétiques et la pauvreté sont des variables importantes dans la création de conflits. La vulnérabilité de la région face aux impacts du changement climatique est susceptible d’être un futur facteur d’instabilité. En fait, à travers ce travail, on voulait tout simplement montrer comment les changements climatiques affecteraient la région dans son ensemble. Evidemment le message prend un sens particulier quand on sait que l’Asie-Pacifique concentre les deux tiers de la population mondiale.
Quelle est la responsabilité du continent dans le changement climatique ?
L'Asie contribue grandement à l'économie mondiale avec des superpuissances comme l'Inde et la Chine, mais aussi les quatre dragons asiatiques [Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hongkong ndlr] et donc aux émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Ils peuvent déjà, à eux quatre, réduire les émissions de GES. Sinon il y aura toujours plus d'intempéries, et il sera alors difficile, notamment pour les agriculteurs, de continuer à produire en masse. Nous anticipons dans le rapport une diminution de 10% de la production céréalière. Il faut bien comprendre que les pays asiatiques tiennent l'avenir de la Terre entre leurs mains. Le défi est double. D'une part, les émissions asiatiques de GES doivent être réduites de manière à ce que la communauté mondiale puisse contenir la hausse de température sous la barre des deux degrés. D'autre part, les pays asiatiques doivent établir des stratégies leur permettant d'assurer la prospérité et la sécurité de la région, tout en conservant leur développement.
Peut-on craindre une recrudescence des catastrophes naturelles comme le typhon tropical Haiyan aux Philippines en novembre 2013 ?
On constate déjà une intensification des phénomènes climatiques extrêmes. Il n’y a pas forcément plus de catastrophes, mais quand elles adviennent, elles sont de plus en plus dévastatrices. Les zones côtières à basse altitude seront plus exposées aux risques d’inondation. 19 des 25 villes les plus en danger se trouvent à un mètre au-dessus du niveau de la mer, et sept d’entre elles rien qu’aux Philippines. L’Indonésie sera le pays le plus affecté par les inondations. Celles-ci toucheront 5,9 millions de personnes par an jusqu’en 2100. Cette faiblesse face aux inondations et autres désastres écologiques, aura de fortes conséquences économiques dans la région, voire dans le monde. Les coûts mondiaux liés aux inondations devraient atteindre, selon les prévisions, 52 milliards de dollars par an d’ici 2050. Contre 6 milliards en 2005. Tout ceci pose également un risque majeur en matière de santé. Déjà 3,3 millions de personnes meurent chaque année à cause des effets néfastes de la pollution atmosphérique. La Chine, l’Inde, le Pakistan, et le Bangladesh sont les quatre pays les plus touchés. D’après les données de l’OMS, on s’attend à ce que le nombre de morts liés à la chaleur chez les personnes âgées augmente à hauteur de 52 000 cas d’ici 2050. Les morts causés par des maladies comme la malaria et la dengue devraient aussi augmenter. Il convient de préciser que ce seront les populations les plus démunies qui seront touchées par ces problèmes. Elles fuiront alors vers les grandes villes, et accroîtront leurs populations. Enfin, si le climat de la région devient plus chaud, cela pourrait avoir des répercussions en matière d’approvisionnement énergétique. Voilà une situation qui deviendrait ingérable.
Paradoxalement, les Etats-Unis sont, avec le Japon, actionnaires majoritaires de la Banque asiatique de développement. Pourtant, Donald Trump a quitté l’accord de Paris sur le climat alors même que le rapport appelle à l’appliquer au plus vite. Y a-t-il une volonté de mettre l’Amérique au pied du mur ?
On va voir ce que tout ça nous réserve. Il est vrai que Donald Trump a annoncé le retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris, mais on a vu beaucoup de villes et d'Etats américiains, comme la Californie, protester contre cette décision. Il y a donc quand même des gens qui ont conscience de la situation. Mon plus grand souhait serait que les Etats-Unis suivent quand même les recommandations de l'accord de Paris. On ne peut pas dire pour autant que ce rapport a été écrit pour pousser Donald Trump à respecter l'engagement pris par Barack Obama en 2015. Notre travail a débuté avant même que l'élection présidentielle américaine ne commence. Bien entendu, on espère faire prendre conscience de la situation au gouvernement américain, et même au reste du monde. Ce rapport, c'est une sorte de cri pour dire: «Réveillez-vous, on doit agir sur le climat, et maintenant !»