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Libération
Interview

«On est en train de briser la colonne vertébrale de l’épidémie du sida»

Michel Sidibé, directeur exécutif de l’Onusida revient sur un rapport publié jeudi, qui note des progrès importants dans la lutte contre le sida.
Un test de dépistage du sida, le 27 juin à Miami. (Photo Joe Raedle. AFP)
par Thierno Moussa Bah
publié le 20 juillet 2017 à 19h41

Dans son dernier rapport publié ce jeudi, l’Onusida note un sensible progrès dans la lutte contre le sida : le taux de mortalité provoqué par l’épidémie a été divisé par deux depuis 2005. En 2016, près de 19,5 millions de personnes sur les 36,7 millions atteintes du virus ont accès au traitement antirétroviral, soit plus d’un malade sur deux. Michel Sidibé, directeur exécutif de l’Onusida, explique ces chiffres à Libération.

Vous affirmez qu’un «tournant décisif a été franchi dans la lutte contre le SIDA». Quel est ce tournant ?

Nous sommes en train de briser la colonne vertébrale de cette épidémie. En 2003, seulement 4% des malades avaient accès à un traitement. Aujourd'hui, 19,5 millions de personnes en bénéficient. On passe de 4% à 70%. Ce qui se traduit par une baisse de 50% de la mortalité. On aurait jamais imaginé ça il y a quelques années. La mortalité reste l'indicateur le plus puissant pour mesurer l'impact d'un programme. Par ailleurs, les nouvelles infections ont été réduites de 16%.

Comment en est-on arrivé là ?

C'est une combinaison du leadership politique, d'une mobilisation des ressources financières, d'un activisme de la société civile et bien sûr de l'innovation scientifique. Voilà comment nous avons pu réaliser ces progrès. Par exemple, l'activisme de la société civile, notamment des ONG, a contribué à baisser le coût des thérapies. Nous sommes passés d'un coût de 15 000 dollars par personne à 80 aujourd'hui. Sans parler des recherches scientifiques grâce auxquelles un seul comprimé par jour suffit aux malades contre 18 il y a quelques années. Et tout laisse à penser qu'une simple injection tous les deux mois sera suffisante. La région du monde qui a accompli le plus de progrès est l'Afrique australe et de l'Est, qui rassemble plus de la moitié des personnes séropositives et où beaucoup d'efforts ont été déployés.

Mais la situation se dégrade dans certaines régions…

C’est vrai. C’est notamment le cas de certains d’Europe de l’Est et d’Asie centrale. Dans ces deux régions nous avons eu 60% d’augmentation des infections au cours des six dernières années. A elle seule la Russie compte pour 80% de cette augmentation. Aussi bien en Europe de l’Est qu’en Asie centrale, il existe un défaut de leadership politique qui permettrait aux personnes malades et exclues de la société, à l’instar des homosexuels, des travailleurs du sexe ou encore des personnes qui se droguent, d’avoir accès librement à des services de santé. Mais la stigmatisation et les politiques discriminantes qui existent dans ces pays à l’égard de ces personnes contribuent à augmenter l’infection. C’est d’ailleurs dans cette partie du monde que nous constatons une hausse de la mortalité, soit 36% sur les six dernières années. Le phénomène touche en premier lieu la Russie, mais aussi l’Albanie, l’Arménie et le Kazakhstan.

Qu’en est-il en Europe occidentale ?

Globalement, les progrès sont notables. Des pays comme la Suède n’ont presque plus de nouvelles infections. Par contre, certains pays européens continuent à avoir des infections, notamment dans la communauté gay. Mais si l’on compare avec l’Europe de l’Est, l’Asie centrale ou encore l’Afrique de l’Ouest, on peut dire qu’il y a une vraie maîtrise de l’épidémie.

L’Onusida se fixe comme objectif de réduire les nouvelles contaminations à 550 000 d’ici 2020…

Oui ! Du moins si nous continuons sur la même tendance de réduction du nombre de personnes atteintes par le virus. C’est, par exemple, la première fois qu’on a pu augmenter ainsi – de 2,5 millions – le nombre de personnes sous traitement. Et cela en une seule année.

Avez-vous les moyens financiers de ces ambitions ?

Ces trois dernières années, nous avons eu des budgets relativement serrés. En 2016, nous avons eu 19 milliards de dollars, alors qu’il nous faudrait trouver encore 7 milliards de dollars pour réaliser notre objectif d’ici 2020.

Depuis le début de l’épidémie, il y a bientôt 40 ans, 35 millions de personnes sont mortes. Quelles sont les perspectives pour un futur vaccin ?

Il y a un travail très sérieux qui se fait actuellement, notamment, en Afrique du Sud. Il s’agit d’une des plus grandes expérimentations. Avec un vaccin déjà efficace à 33%, nous pensons que cette recherche pourra donner des résultats probants dans les années à venir.