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Libération

Pétrole et gaz en Tunisie : la fin d’une époque opaque ?

Les députés tunisiens votent ce lundi l’attribution de permis de prospection d’hydrocarbures. Un progrès démocratique qui n’éclipse pas les risques de corruption et de pollution.
Station de pompage de pétrole à El-Kamour, dans le gouvernorat de Tataouine, le 24 mai. (Photo Khaled El-Houch. AFP)
publié le 20 juillet 2017 à 19h01

C’est une première. Les députés tunisiens votent ce lundi l’attribution de deux permis de recherche et de prospection d’hydrocarbures, en l’occurrence aux sociétés YNG Energy Limited (Singapour), et Mazarine Energy (Pays-Bas). Un moment historique attendu depuis la promulgation de la Constitution en 2014 qui, dans son article 13, stipule que c’est aux élus du peuple d’approuver (ou non) les conventions relatives à l’exploitation du pétrole.

L'avancée démocratique ne fait cependant pas oublier que l'opacité, la corruption et la pollution restent, en partie, à la base de la contestation sociale qui touche le sud du pays. Depuis le 23 avril, des habitants de Tataouine ont installé des tentes dans la zone de Kamour, où transitent les camions des sociétés pétrolières œuvrant dans la région. «La richesse du sol, c'est pour les autres, pas pour nous», s'insurge Moncef Belboul, un des organisateurs de la contestation.

«Juge et partie». Mohamed Ali Khelil, directeur général des stratégies et des veilles au ministère de l'Energie, sourit : «Notre taux d'indépendance énergétique n'est que de 59 %, nous devons importer. L'opération de communication des manifestants est réussie, mais ne repose sur rien.» En 2016, dans le pays, la production d'or noir était de 45 700 barils par jour, contre 88 000 en 2010. Une chute qui ne justifie pas les politiques et pratiques de l'industrie d'hydrocarbures, estime l'ONG internationale Institut de la gouvernance des ressources naturelles (NRGI). Selon un rapport de l'organisation paru en juillet, les Tunisiens ne bénéficient pas suffisamment des richesses de l'or noir. «Il y a une absence de transparence dans le processus d'octroi des permis de recherche et il n'existe pas de publication de rendement par gisement», précise Wissem Heni, représentant de NRGI en Tunisie.

L'Entreprise tunisienne d'activités pétrolières (Etap), la compagnie nationale qui s'occupe de l'exploration et de la commercialisation du pétrole et gaz, est particulièrement pointée du doigt. «Sur le terrain, et par manque de moyens de la Direction générale de l'énergie (DGE), le suivi des activités de recherche et de l'exploitation des concessions est assuré quasi exclusivement par les experts de l'Etap, estime Kais Mejri, ancien directeur général au ministère de l'Energie. Ce qui est non seulement insuffisant, mais contraire au code des hydrocarbures : l'Etap ne peut pas être juge et partie puisqu'elle est aussi cotitulaire du titre d'hydrocarbure avec la société étrangère.» Autrement dit, une compagnie étrangère pourrait récompenser un ingénieur fonctionnaire en lui promettant une embauche, et donc une augmentation substantielle de salaire, s'il fermait les yeux sur certains manquements…

La Tunisie a lancé les démarches pour intégrer l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), qui prône une norme mondiale pour une gestion ouverte et responsable des ressources extractives. Une initiative saluée par la société civile, mais qui ne suffit pas à régler les problèmes actuels, et notamment les dangers écologiques.

Salinité. En 2010, la compagnie franco-britannique Perenco a effectué la première fracturation de gaz de schiste en Afrique du Nord, sur le site de El-Franig. Une opération illégale, car ce type d'exploration ne figure pas dans le code des hydrocarbures, mais qui a pourtant bénéficié de l'approbation de l'Etap, partenaire à 50 % de la joint-venture. Devant l'indignation publique, Perenco semble avoir abandonné ce procédé. Mais Ayman Latrech, représentant de la Coalition nationale pour la transparence dans l'énergie et les mines à Tataouine, ne se fait guère d'illusions : «Sur le site de Bir Ben Tartar [exploité par la société indonésienne Medco, ndlr], ils font de la fracturation hydraulique. C'est sur un puits d'hydrocarbures conventionnels. C'est légal, mais ça pollue la nappe phréatique presque autant que le gaz de schiste.»

La Tunisie fait partie des 33 pays menacés de pénurie d'eau d'ici 2040, selon l'organisation mondiale de recherche World Resources Institute. «La salinité de l'eau des palmeraies ne doit pas dépasser les 8 %. Ce taux atteint 67,8 % sur certains échantillons prélevés à proximité des puits de Perenco», assure Taher Tahri, président de l'Association de sauvegarde des oasis de Jemna, dans le gouvernorat de Kébili. Le gouvernement a lancé au début de l'année une étude d'impact environnemental sur le gaz de schiste, qui doit déboucher sur une décision politique nette. «A 90 %, le rapport va dire oui au gaz de schiste. Il nous reste 10% pour faire changer les choses», veut encore croire Ayman Latrech. Peut-être un peu plus avec le nouveau poids de l'Assemblée dans ce secteur. La commission parlementaire sur l'énergie a ajouté deux avenants aux permis soumis au vote de ce lundi, qui interdisent formellement toute recherche ou production de gaz de schiste.