Aux yeux de très nombreux Espagnols, c'est tout un symbole : l'un des visages de la corruption de haut niveau s'est tiré une balle en plein poumon. Alors que, mercredi, le décès du banquier Miguel Blesa, 69 ans, créait un choc dans tout le pays, les médecins légistes savent désormais que l'homme s'est suicidé avec un fusil de chasse, dans sa propriété de la province de Cordoue, en Andalousie. «Il n'a pas pu résister à la pression médiatique», a aussitôt réagi un de ses proches, établissant un parallèle entre sa mort et celle de Rita Barberá, l'ancienne maire de Valence, elle aussi décédée après avoir été poursuivie pour corruption et détournement de fonds publics.
Le 23 février, un magistrat de l’Audience nationale (tribunal spécialisé), à Madrid, avait condamné Blesa à six ans de prison ferme pour fraude financière. L’homme était aussi impliqué dans d’autres affaires, notamment un scandale de salaires gonflés au sein de Caja Madrid, la puissante caisse d’épargne dont il fut le président entre 1996 et 2009.
Favori d’Aznar
Le suicide de Miguel Blesa a les accents d’un aveu. Selon des sources judiciaires, l’homme n’avait aucune envie de continuer à supporter les sanctions judiciaires et le discrédit public. Avec sa mort volontaire, c’est toute une page d’impunité et de passe-droits qui se tourne. Ce diplômé en droit originaire de Linares, en Andalousie, était un des favoris de José María Aznar, le chef du gouvernement conservateur espagnol entre 1996 et 2004. Il avait connu une ascension vertigineuse, en prenant les manettes de la caisse d’épargne Caja Madrid, une des principales entités bancaires du pays.
Lorsque l’argent coulait à flots, avant le krach immobilier, Miguel Blesa incarnait le succès d’un banquier ayant fait de Caja Madrid un symbole de la puissance financière espagnole. La chute fut brutale : avec la crise économique de 2008, le pays se rend compte que ses caisses d’épargne ont dépensé l’argent public sans limites, et que leurs dirigeants se sont enrichis alors qu’ils savaient que la faillite était imminente. L’héritage de Miguel Blesa, puis de son compère Rodrigo Rato (qui fut président du FMI), fut catastrophique pour Caja Madrid : pour lui éviter la banqueroute, l’Etat doit procéder en 2012 au plus grand sauvetage financier de l’histoire récente, mobilisant 22,4 milliards d’euros.
Safaris, prostituées…
C’est l’affaire des «tarjetas black» qui rattrapera Blesa et montrera qu’il était au centre d’un système de détournements de fonds à son profit et celui des autres dirigeants de Caja Madrid, rebaptisée depuis Bankia. Ce qui ne l’avait pas empêché de bénéficier, lors de son départ, d’une indemnité de 28 millions d’euros. Les «tarjetas black» étaient des cartes de crédit professionnelles que leurs détenteurs utilisaient sans frein pour des dépenses excessives : safaris, restaurants et hôtels de luxe, prostituées, vêtements… A lui seul, Miguel Blesa, d’après un document rendu public, avait dépensé 76 000 euros rien qu’en hôtels. Au total, la justice a chiffré à 12 millions d’euros la facture globale des «caprices» que se permettaient les dirigeants de la caisse d’épargne grâce à ces cartes.
Avec le suicide du banquier, les poursuites pénales s’arrêtent bien entendu contre Miguel Blesa, mais ses descendants devront faire face aux responsabilités civiles. Il sera incinéré ce vendredi à Linares, dans l’intimité. Aucun membre du Parti populaire, au pouvoir, ni aucune personnalité du monde des affaires ou de la banque n’a souhaité faire de déclarations quant à cette mort tragique.