L'industrie de la contrefaçon se porte à merveille. Alors qu'on l'imagine souvent comme un phénomène lointain, la contrefaçon est en augmentation dans les Etats membres de l'Union européenne. Comme le souligne le récent rapport du Comité économique et social européen (Cese), la valeur estimée du commerce de produits contrefaits varie de 600 milliards d'euros selon les Nations Unies à près de 1 000 milliards d'euros selon d'autres statistiques.
S’agissant de l’UE, l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économique) estime que jusqu’à 5 % (soit l’équivalent de 85 milliards d’euros) de marchandises importées sont des produits contrefaits. Selon le Cese, ce sont près de 800 000 emplois qui seraient perdus en Europe à cause des produits contrefaits, qu’ils soient produits sur le Vieux Continent ou dans le reste du monde. Quant au manque à gagner fiscal, son montant frôle les 15 milliards par an. Co-rapporteur de l’étude du Cese, Antonello Pezzini explique le business de l’industrie de la contrefaçon et ses évolutions.
Le phénomène de la contrefaçon est-il en hausse ?
Il est en hausse de 6 à 7 % chaque année. La hausse s’explique notamment par le fait que les organisations criminelles ont trouvé dans cette activité un moyen facile de se financer. Aujourd’hui, on compte dans le monde 3 000 zones de libre-échange dans 135 pays. Ce sont autant d’endroits où la contrefaçon et la mise en circulation de produits contrefaits peuvent prospérer. C’est un phénomène très fort, à tel point qu’il fait perdre 800 000 emplois potentiels à l’Europe. Plus inquiétant encore, on constate que cette activité, auparavant majoritairement cantonnée aux pays hors UE, s’y développe maintenant. En Italie notamment et plus particulièrement à Naples, où la police intervient régulièrement dans des ateliers de fabrication. On y trouve de tout. Du textile, du parfum et même de l’argent. D’ailleurs la plupart des euros contrefaits proviennent de là.
Quid de la dimension sociale de ce trafic ?
Les personnes qui travaillent dans le milieu de la contrefaçon sont exploitées et sous payées. La filière fait son argent sur le dos des personnes vulnérables comme les migrants. Certes, on peut parler de dimension sociale, mais pour dire que la contrefaçon renforce les inégalités au sein de notre société. Oui, il y a des personnes qui travaillent à la confection des produits et d’autres à leur diffusion, mais elles sont malheureuses. Elles causent du tort à ceux qui travaillent dans la légalité. En clair, on a d’un côté des travailleurs réduits au statut d’esclaves et de l’autre on a des industries qui peinent à produire le meilleur, puisque dès qu’elles le font c’est tout de suite copié. La contrefaçon se fait donc au détriment du progrès. Pire encore, elle pose un problème pour la santé de nos concitoyens. Les tee-shirts contrefaits au Bangladesh contiennent des produits non autorisés en Europe, provoquant des maladies de la peau et autres allergies.
Existe-t-il des spécialités selon les pays ?
A chaque pays son domaine d’activité. La Chine fabrique de tout. L’Inde fait dans les produits pharmaceutiques, l’Egypte dans les denrées alimentaires, la Turquie dans le parfum et le Bangladesh dans le textile. Il y a aussi des pays qui certes fabriquent, mais qui font aussi de la distribution. L’Egypte et la Turquie sont par exemple plus connus pour être des terres de transit propices à la diffusion des faux produits en Europe.
Vous évoquez l’homogénéisation dans l’application des normes européennes contre la contrefaçon. Quels sont les pays les plus avancés en matière de contrôles ?
Les pays qui contrôlent le plus sont généralement les pays du nord. Quand vous avez moins de bateaux qui vont en Finlande ou en Suède, les contrôles sont beaucoup plus réguliers. Mais en France, comme en Italie, il y a tellement d’arrivées de containers que les douaniers ne peuvent pas tout contrôler. Seul un container sur cinquante est contrôlé. Il faudrait, en plus des douanes par pays, une douane européenne qui vienne renforcer les premières. Cette douane commune pourrait bénéficier d’une technologie d’ensemble pour tous les Etats membres de l’UE.
Quelles sont les évolutions récentes du marché de la contrefaçon ?
Le réseau s’organise de mieux en mieux. Si la filière décide de fabriquer des produits dont la France est spécialiste, comme le fromage, elle tentera d’abord de les faire passer dans les pays qui n’en fabriquent pas, car il n’y aura pas ou peu de contrôles. Autrement dit, seront privilégiés les pays où le produit en question n’est pas fabriqué. Ce sont des lieux où les douanes sont moins regardantes. Mais là où l’évolution est flagrante, c’est dans l’implication des organisations criminelles de type terroristes sur ce marché. Elles ont su profiter du filon. Bien entendu, le terrorisme ne contribue pas directement à la contrefaçon, mais il en profite grâce aux migrants qui voyagent vers l’Europe. Ces derniers se payent le trajet avec l’argent du travail effectué dans les ateliers de fabrication de contrefaçons. Cet argent sert, au bout du compte, au financement de certaines organisations terroristes.
À lire aussi :La contrefaçon fait perdre 800 000 emplois à l'Europe