La ville de Yei n’est plus approvisionnée. Les routes sont coupées. Plus aucune nourriture ne parvient dans cet ancien grand pôle marchand du Soudan du Sud. La seule solution pour ne pas mourir de faim est de tenter sa chance sur les chemins de brousse pour rejoindre les zones rurales et ramener les denrées de base.
Mais les groupes armés sont partout. Un homme qui se fait prendre se fait tuer, une femme se fait violer. «Elles doivent donc choisir entre l'agression sexuelle et le meurtre de leur mari ou leur frère, explique Donatella Rovera, en charge du rapport d'Amnesty International sur les violences sexuelles au Soudan du Sud, publié lundi. Un choix impossible. Mais il faut pourtant survivre… Et Yei n'est qu'un cas parmi d'autres. La province entière de l'Equatoria-Central, comme celle du Nil-Supérieur, dans le Nord-Est, connaissent un regain de violence.»
La militante a mené les recherches pendant un mois et recueilli - avec d’autres membres de l’ONG - le témoignage de 168 survivants dans quatre Etats et trois camps de réfugiés ougandais. Des femmes, des jeunes filles ou des hommes. La brutalité des faits relatés choque. Mutilations, actes de barbarie. Et les victimes ne reçoivent aucun soins pour réparer les fistules vaginales, les lacérations ni même d’aide psychologique. Le délabrement du système de santé, l’instabilité, l’impossibilité pour les ONG de travailler dans la zone et l’isolement des populations ne le permettent pas. Le nombre de morts aussi est incertain. Peut-être quelques dizaines de milliers, peut-être des centaines de milliers… l’ONU ne les recense plus. Les déplacés et réfugiés, eux, se comptent en millions et le risque de famine perdure. Les combats entre les partisans du président Salva Kiir et ceux de l’ancien vice-président Riek Machar ravagent le plus jeune pays d’Afrique depuis fin 2013. Les populations sont considérées comme ennemies sur la seule base de leur ethnie.
Au-delà des crimes de guerre, l'insécurité et l'impunité pour les agresseurs engendrent des viols d'opportunité. «Les conflits ont laissé les femmes sans protection, déplore Donatella Rovera. Elles sont d'autant plus vulnérables qu'elles ont souvent perdu les hommes de leur famille. Et elles peuvent être agressées, même par des membres de leur propre ethnie.»