«L'ouverture démocratique dont a besoin la Colombie est proche. Le lancement de notre parti politique sera le 1er septembre», a tweeté le 24 juillet le chef des Farc, Rodrigo Londoño, plus connu sous ses noms de guerre «Timoleon Jimenez», ou «Timochenko». Cette transformation de la plus ancienne rébellion des Amériques est une étape décisive du retour à la vie civile des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc). Comme eux, d'autres rebelles ont fait le choix de se muer en parti politique.
Europe
Conflit nord-irlandais : le Sinn Féin
L’Irlandais Arthur Griffith crée en 1905 un mouvement nationaliste et républicain du nom de Sinn Féin, «nous seuls» en langue gaélique. Alors simple parti politique, le Sinn Féin prône d’abord une résistance passive face à l’occupant anglais, sans grand succès. Griffith exhorte l’Irlande d’assurer seule son développement économique sans l’aide de l’Angleterre. Il réclame surtout la formation d’un parlement national. Alors que le Sinn Féin gagne les élections législatives de 1918, le parti refuse de siéger à Westminster et proclame l’indépendance du pays. La lutte armée s’amorce avec la création en 1919 de l’Irish Republican Army («armée républicaine irlandaise», IRA). Liée au Sinn Féin, l’IRA naît dans un contexte de guerre civile d’indépendance en Irlande (1919-1921). Elle mène des actions violentes contre les Britanniques afin de les obliger à rendre une autonomie totale au pays. Lorsque l’indépendance est décrétée, par la création de l’Etat libre d’Irlande le 6 décembre 1921, l’organisation s’amoindrit. Elle reste tout de même présente pour combattre en faveur des Catholiques d’Irlande du Nord et pour la réunification de l’île.
Il faudra attendre 2005 pour que l'IRA dépose les armes afin d'atteindre ses objectifs politiques d'unification du pays. C'est le grand retour du Sinn Féin. La même année, le parti obtient cinq députés au Parlement britannique. L'ascension continue. En février 2016 il remporte 13,85% des suffrages lors des élections générales en Irlande et fait entrer 23 députés au Dáil Éireann, le parlement Irlandais. Sa meilleure représentation au sein de la République d'Irlande. Le parti nationaliste, qui milite toujours pour la réunification de l'Irlande et contre le Brexit, a connu une forte poussée lors des dernières élections pour l'assemblée régionale d'Irlande du Nord face à son principal adversaire, le Parti unioniste démocrate (DUP). Le DUP remporte 28,06% des voix et 28 des 90 sièges de l'assemblée régionale de Stormont, tandis que le Sinn Féin rallie de son côté 27,91% des voix pour 27 sièges.
Groupe de libération armée et Alliance révolutionnaire caraïbe
Héritier de plusieurs mouvements révolutionnaires antillais, comme le Groupe pour l'organisation nationale de la Guadeloupe (Gong, 1963, d'obédience maoïste), le Groupe de libération armé (GLA) s'illustre en 1980 avec des attentats à la bombe contre des lieux symboliques de la présence française, parmi lesquels les banques, palais de justice, locaux de France 3, aéroport… Elus et hommes d'affaires sont également visés. Les activistes arrêtés sont amnistiés à l'arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981. L'un d'eux, Luc Reinette, reprend le combat en 1983 avec l'Alliance révolutionnaire caraïbe (ARC). L'ARC utilise les mêmes méthodes que l'ex-GLA, avec la particularité de s'exporter en Martinique, en Guyane et en métropole. Luc Reinette est de nouveau emprisonné. Après une tentative d'évasion, il est remis en prison puis amnistié en 1989. Il poursuit aujourd'hui son combat indépendantiste via son parti politique créé en 2015, le Karesol Otorité Politik Gwadloup. Le parti ne se considère pas comme une organisation de plus, mais comme une nouvelle entité qui jette les bases d'une nécessaire autorité politique guadeloupéenne, dont la mission est de s'opposer frontalement à l'Etat français et à ses relais en Guadeloupe, considérée comme un pays dominé.
Afrique
La République démocratique du Congo (RDC) et le Mouvement du 23 mars (M23)
Le M23 est né des suites de la guerre du Kivu. A la mort de son père en 2001, Joseph Kabila le remplace à la tête de la RDC. Il prend les rênes d'un gouvernement de transition en 2003, avec quatre vice-présidents, dont un représentant du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) et un du Mouvement de libération du Congo (MLC). Pour pacifier le pays, Joseph Kabila tente de brasser les différents mouvements rebelles au sein de l'armée. Mais certains chefs, sceptiques, ne croient pas à la volonté du pouvoir de réformer le pays et mettre fin aux discriminations ethniques. C'est le cas d'un certain Laurent Nkunda. Issu du RCD, il accepte d'abord un poste de colonel avant de refuser celui de général. Nkunda s'oppose au pouvoir en place et se réfugie dans le Nord-Kivu. La guerre est déclenchée. Elle oppose l'officier rebelle tutsi et son Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), à l'armée de la RDC et ses alliés. Après son arrestation en janvier 2009, est signé en mars de la même année un accord aux multiples modalités, dont la libération des prisonniers du CNDP, la transformation de ce dernier en parti politique ou encore que l'intégration des forces du CNDP dans l'armée congolaise.
Mais rapidement soupçonnés par le gouvernement d'abuser de leur position dans l'armée pour contrôler le trafic de minerais, les ex-membres militaires du CNDP sont mutés dans d'autres régions du pays. Voilà que naît le 6 mai 2012 le M23, en référence à la date de signature de l'accord de 2009, que les ex-rebelles considèrent, par la décision du gouvernement, comme non respecté. Le M23 sera accusé par des ONG, par les Américains et par le Tribunal pénal international, de nombreuses violences envers les populations civiles. Le 5 novembre 2013, le mouvement déclare déposer les armes. La ratification de l'accord de Nairobi (Kenya) le 12 décembre, viendra sceller la dissolution du M23.
Aujourd'hui une partie des rebelles de l'époque ont intégré la politique. C'est le cas de Jean-Marie Runiga, ancien chef de la rébellion, aujourd'hui dirigeant de l'Alliance pour le salut du peuple (ASP). Il a d'ailleurs démenti, au début de l'année 2017, le retour de combattants du M23 en RDC, affirmant qu'il ne s'agit plus d'un mouvement militaire depuis la signature des accords de Nairobi mais bien d'un parti politique.
Amérique Latine
L’Armée de guérilla des pauvres au Guatemala
Née en 1972, l'Armée de guérilla des pauvres (EGP), mouvement marxiste-léniniste, participe au conflit armé guatémaltèque qui oppose entre 1960 et 1986 différentes guérillas marxistes qui forment l'Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG), aux dictatures militaires qui se succèdent au Guatemala. Marqué par la théologie de la libération et la défense des peuples indigènes, l'EGP s'implante dans des communautés autochtones de la région, des endroits réputés difficiles d'accès. Les représailles de l'armée dans ces zones rurales soupçonnées d'abriter des rebelles font des milliers de morts. En 1996, l'URNG dépose les armes et signe un accord de paix pour devenir un parti politique. En 2011, sa candidate à l'élection présidentielle et prix Nobel de la paix (1992), Rigoberta Menchu, ne recueille que 3% des voix.
Les forces populaires de libération Farabundo Marti au Salvador
Les forces populaires de libération Farabundo Marti (FPLFM), du nom d'un dirigeant communiste fusillé en 1932, naissent en 1980 de l'union de cinq mouvements de gauche partisans de la lutte armée contre la dictature militaire au Salvador. Entre 1980 et 1992, l'affrontement entre l'armée, le FPLFM et les milices d'extrême droite de l'Arena, plonge le pays dans la terreur. Le bilan atteint les 100 000 morts. Les combats prennent fin en 1992 avec la signature des accords de paix de Mexico. La guérilla se transforme en Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN). Désormais parti politique, le FMLN remportera d'importants succès électoraux. En 2009, son candidat Mauricio Funes est élu président de la République. Cinq ans plus tard, le parti conserve le pouvoir grâce à l'élection d'un de ses anciens combattants, Salvador Sánchez Cerén.
Mouvement du 19 avril
Né en 1974, dix ans après les Farc, le Movimiento 19 de Abril a lui aussi pris part au conflit armé en Colombie, avec la particularité d'être fortement présent dans les zones urbaines plutôt que dans la jungle. Une des premières actions qui fait connaître le mouvement est le vol de l'épée de Simón Bolívar en janvier 1974, suivi de la déclaration : «Bolívar, tu espada vuelve a la lucha» («Bolívar, ton épée retourne à la lutte»). Autre action qui fait parler du M-19 : la prise d'otage au palais de justice de Bogota en novembre 1985. Un commando du mouvement entre dans le bâtiment où siège la Cour suprême colombienne, avec 300 personnes à l'intérieur. Le commando exige que le président Belisario Betancur (1982-1986) soit jugé. Le M-19 l'accuse de ne pas vouloir réellement la paix, malgré l'ouverture de négociations en 1982.
A l'élection de Virgilio Barco comme président de la République en 1986, les négociations avec les guérillas reprennent. Le M-19 réclame la création d'une assemblée constituante pour doter le pays d'une nouvelle Constitution. Le gouvernement colombien finit par accepter. Le M-19 dépose officiellement les armes le 8 mars 1990 et devient le parti Alianza Democrática M-19 (AD/M-19). Mais le combat politique ne sera pas de tout repos. Pour sa première à des élections, le parti présente son chef Carlos Pizarro Leongómez comme candidat à l'élection présidentielle de 1990, mais il est assassiné. Antonio Navarro Wolff prend la relève. Sans être élu, il obtient quand même 12% des voix, et devient ministre de la Santé dans le gouvernement de César Gaviria (1990-1994). Le AD/M-19 participe ensuite à l'assemblée constituante qui rédige la constitution de 1991, et remporte 27% des suffrages pour 19 sièges. Antonio Navarro Wolf est élu coprésident de cette Assemblée. Aujourd'hui, le parti n'existe plus en tant que tel. Nombreux sont ses membres à avoir rejoint le Polo democrático alternativo, parti membre de l'internationale socialiste.
Les Farc doivent-ils craindre un destin semblable à celui du M-19 ? Toujours est-il que la rédemption des guérilleros n'est pas vue d'un très bon œil par les Colombiens. Le référendum du dimanche 2 octobre 2016 pour la paix avec les Farc a vu le non l'emporter à une courte majorité.