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Libération
Corée du Sud

Quand Séoul manipulait ses élections

Les services de renseignement sud-coréens ont reconnu qu'ils avaient manœuvré pour influencer les élections entre 2011 et 2012 afin de favoriser les conservateurs. Des pratiques que le nouveau président Moon entend éradiquer.
L'ancienne présidente sud-coréenne Park Geun-hye, le 2 juin 2016 à Paris. Elle a été destituée en mars 2017. (Photo Jacques Demarthon. AFP)
publié le 4 août 2017 à 18h05

Les fortes suspicions sont devenues des confirmations. Les services de renseignement sud-coréens ont admis avoir manipulé l’opinion publique au profit des conservateurs lors de la présidentielle de 2012. L’enquête interne du Service national du renseignement (NIS) publiée jeudi révèle l’ampleur de la manœuvre : une trentaine d’équipes représentant près de 3 500 personnes avaient été recrutées, plus de 3 milliards de wons (2,25 millions d’euros) dépensés pour influencer en ligne les citoyens et les électeurs lors de la présidentielle qui avait vu la victoire de la conservatrice Park Geun-hye face à Moon Jae-in.

Pendant au moins deux ans, des groupes comme «Part-time Crusaders» et «Alpha Team» ont été déployés sur les réseaux sociaux et les sites d'informations par le département cyberguerre du NIS. Ils étaient censés défendre le bilan du président sortant Lee Myung-bak, promouvoir la plateforme électorale de Park Geun-hye, supprimer les commentaires de l'opposition et présenter Moon Jae-in et son parti comme des «forces pro-nord-coréennes susceptibles de perturber les affaires de l'Etat», selon le rapport. Cette révélation-confirmation jette un trouble dans une démocratie stable depuis trente ans.

Prison à vie

Le 19 décembre 2012, Park Geun-hye, la fille de l'ancien dictateur Park Chung-hee accédait à la présidence de la Corée du sud avec moins de 800 000 voix d'avance sur Moon. Depuis, elle a été rattrapée par un vaste scandale de corruption et d'abus de pouvoir qui l'a contrainte à la démission, avant qu'elle soit arrêtée. Pour cette affaire qui a ébranlé le pays et jeté dans la rue des millions de Coréens entre octobre et mars, elle est actuellement jugée et risque la prison à vie. En mai, Moon Jae-in a été élu président.

Pendant toute la campagne, le patron du Parti démocrate a appelé à une profonde réforme du NIS, exigeant que l'agence recentre ses missions sur la Corée du Nord et les affaires étrangères, et non sur la surveillance des citoyens du Sud et de l'opposition. Une fois élu, soucieux de faire du NIS une «agence neutre», il a demandé à ses troupes de nettoyer les rangs des services et de révéler des années de pratiques douteuses. Au risque d'être suspecté de se lancer dans une chasse aux sorcières.

Les enquêteurs ont pointé le rôle de Won Sei-hoon, directeur du NIS de 2009 à 2013, actuellement poursuivi dans un nouveau procès pour sa participation dans la manipulation des élections. Fin juillet, des transcriptions audio ont été dévoilées, montrant comment Won et de hauts responsables des services avaient influencé les élections parlementaires de 2011 et 2012, plaçant sous surveillance des membres de l’opposition. Won est également poursuivi pour avoir tenté de museler la presse et soutenu des organisations favorables aux conservateurs.

Dans le brouillard en 2011

Ces dernières révélations risquent de ternir un peu plus l'image de la classe politique et des agences gouvernementales comme le NIS, maintes fois montré du doigt pour sa surveillance de la population et son impunité.

En théorie, le NIS n'a pas pour mission d'espionner les citoyens sud-coréens. Mais il a concentré une grande partie de ses efforts sur ce travail dans les années 2008-2012. A tel point qu'il a parfois perdu de vue le cœur de sa mission. C'est ainsi qu'il a été pris de court par l'annonce de la mort de Kim Jong-il en 2011. C'est Pyongyang qui a annoncé la nouvelle au NIS, totalement dans le brouillard. L'agence a été accusée de coups tordus, comme le rappelait Korea Times en mars. Lors de la présidentielle de 1997, des militants conservateurs du Grand parti national, auraient demandé à des soldats nord-coréens de tirer au Sud pour créer un climat de tension et déstabiliser la campagne du candidat de centre gauche Kim Dae-jung, le futur père de la politique du rayon de soleil.

Face aux révélations et aux volontés de réforme de Moon, le NIS pourrait démanteler deux bureaux en charge de la collecte d’informations sur les citoyens et d’analyse des données. Et la police étendrait ses antennes dans la lutte anticommuniste. La guerre froide n’a pas vraiment disparu sur la péninsule.