Le président socialiste vénézuélien, Nicolas Maduro, a porté un grand coup à ses opposants : à peine installée, la Constituante qu'il a dotée de pouvoirs illimités a limogé une adversaire des plus coriaces, la procureure générale Luisa Ortega. Au risque d'aggraver encore les tensions avec la communauté internationale. Ex-chaviste historique – elle a été nommée en 2007 par Hugo Chavez –, elle avait pris ses distances depuis plusieurs mois avec Maduro et s'est vue empêcher, samedi, d'accéder aux bureaux du parquet général à Caracas par des unités de la Garde nationale bolivarienne (GNB). Signe des tensions qui règnent dans le pays, une attaque «terroriste» a eu lieu dimanche matin dans une base militaire à Valencia, dans le nord du Venezuela, selon Diosdado Cabello, un dirigeant politique proche du pouvoir. Plusieurs de ces «terroristes»auraient été arrêtés. L'attaque a fait un mort et un blessé grave.
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«Ce qui se passe au Venezuela, c'est une prise en otage totale de toutes les institutions par un seul camp, par un seul parti politique», a réagi Julio Borges, président du parlement, seule institution contrôlée par l'opposition. «C'est une dictature !», a pour sa part jugé Luisa Ortega, tout en promettant de continuer «à lutter pour la liberté et la démocratie au Venezuela». «Non seulement ils arrêtent les gens arbitrairement, mais ils les font juger par la justice militaire, et maintenant ils ne laissent pas entrer la procureure générale dans son bureau.»
Le Parquet général, qu’elle dirigeait, avait ouvert mercredi une enquête pour fraude électorale présumée lors du scrutin de l’Assemblée constituante le 30 juillet, réclamant en outre l’annulation de l’installation de cette toute-puissante institution.
«Rupture de l’ordre démocratique»
Samedi après-midi, au cours d'une séance publique et télévisée, les membres de la nouvelle Assemblée constituante ont voté à main levée la révocation de la magistrate. Il ne restait plus à Delcy Rodriguez, présidente de la Constituante, de proclamer, avec le sourire, la révocation «à l'unanimité» de Mme Ortega. «Procureur, traîtresse, ton heure est arrivée», ont aussitôt scandé à plusieurs reprises plusieurs participants. La Cour suprême de justice (TSJ), accusée par l'opposition d'être inféodée au pouvoir, a annoncé plus tard que Mme Ortega serait jugée pour des «irrégularités». Ses comptes ont par ailleurs été bloqués et il lui a été interdit de quitter le pays. Elle a aussitôt été remplacée à son poste par un proche du pouvoir, le «défenseur du peuple» (ombudsman) Tarek William Saab, 59 ans.
Ce limogeage risque d'empirer les relations déjà tendues du Venezuela avec la communauté internationale, inquiète de la dérive autoritaire du régime. «Les Etats-Unis condamnent la destitution illégale de la procureur du Venezuela», a réagi sur Twitter la porte-parole du département d'Etat, Heather Nauert, dénonçant «la dictature autoritaire de Maduro».
We applaud Mercosur Foreign Ministers for suspending #Venezuela from the trade bloc for rupture of the democratic order. 2/2
— Ned Price (@statedeptspox) August 5, 2017
La présidente du Chili, Michelle Bachelet, a affirmé sur Twitter que ce renvoi «est un pas de plus dans la rupture démocratique et ne contribue pas à la paix pour le peuple vénézuélien». Pour le président colombien Juan Manuel Santos, il s'agit du «premier acte dictatorial» de la Constituante. Autre signe de cette tension : réunis samedi à Sao Paulo, les ministres des Affaires étrangères du Brésil, de l'Argentine, de l'Uruguay et du Paraguay ont décidé de suspendre le Venezuela du Mercosur, le marché commun sud-américain, «pour rupture de l'ordre démocratique».
Economie en lambeaux
Pour lever cette suspension, le Mercosur a posé comme conditions «la libération des prisonniers politiques, la restauration des compétences de pouvoir législatif, la reprise du calendrier électoral et l'annulation de l'Assemblée constituante». Nicolas Maduro a aussitôt répliqué que son pays ne serait «jamais» exclu du Mercosur et dénoncé une tentative de «blocus économique, financier, commercial et politique comme celui imposé à Cuba dans les années 60».
Présidée par l'ex-ministre des Affaires étrangères, Delcy Rodriguez, une fidèle de Maduro qui la surnomme «la tigresse», la Constituante a pour mission de réécrire la Constitution de 1999 promulguée par Chavez. Le Président lui a notamment fixé pour mission d'apporter la «paix» et de redresser l'économie en lambeaux de cette nation pétrolière, naguère immensément riche. Installée officiellement vendredi, la Constituante a fait savoir samedi qu'elle siégerait pour une durée maximale de deux ans.
L’opposition accuse le dirigeant socialiste de vouloir accroître ses pouvoirs et prolonger son mandat qui s’achève normalement en 2019. L’élection de la Constituante, il y a une semaine, a été entachée de violences qui ont fait dix morts. Plus de 120 personnes ont été tuées ces quatre derniers mois de manifestations contre le gouvernement.