Si la politique kényane était un tournoi de boxe, le scrutin présidentiel de ce mardi serait le dernier round du combat opposant les deux plus importants poids lourds du pays. Un combat qui s’est étalé sur près de sept décennies, deux générations, et dont presque chaque passage sur le ring a été dominé par le camp Kenyatta, au grand dam des partisans d’Odinga. Les deux meilleurs ennemis du pays ont toujours évolué dans un climat de défiance attisé par leurs pères.
En 1964, Jomo Kenyatta, premier président du Kenya, nomme Oginga Odinga vice-président, mais très vite celui-ci quitte le gouvernement à cause d’idéaux radicalement opposés. Les deux hommes se sont pourtant battus pour l’indépendance de leur pays. Kenyatta père, milicien Mau-Mau, a combattu les Britanniques et a été emprisonné. Odinga militait alors pour que son ami soit libéré, mais était fasciné par le socialisme, l’URSS et la Chine de Mao Zedong. Il accusait Kenyatta de n’être qu’un pantin installé par le Royaume-Uni pour garder la main sur sa colonie perdue. Devenu opposant au régime, il n’a jamais connu la présidence, alors que son ancien allié a régné durant près de quatorze ans sur le pays.
Leurs fils ne se sont pas pressés avant de franchir les portes de l’arène politique, préférant percer dans l’économie. Uhuru Kenyatta, aidé par les connexions paternelles et la fortune familiale, devient rapidement un magnat du business à Nairobi. Raila Odinga, loin d’être nécessiteux, met plus de temps à faire prospérer son usine de bonbonnes de gaz. Les vingt ans qui suivent la mort de Kenyatta père, en 1978, sont un chemin de croix pour Raila Odinga. Soupçonné d’avoir fomenté un coup d’Etat contre le régime autoritaire de Daniel Arap Moi (au pouvoir pendant vingt-quatre ans), il séjourne à plusieurs reprises en prison, alors que la famille Kenyatta reste éloignée de la politique.
Les destins des deux hommes se croisent en 2007 : le fils du premier président kényan fait campagne pour Mwai Kibaki, alors que Raila Odingase présente sous l’étiquette du parti qu’il dirige encore aujourd’hui : le Mouvement démocratique orange. Kibaki l’emporte de peu, le Kenya plonge dans une spirale de violence. Pour calmer le pays, un gouvernement de cohabitation est mis en place avec Odinga à sa tête. Uhuru Kenyatta est accusé par la Cour pénale internationale d’avoir provoqué les violences. Un procès est intenté mais n’aboutit pas : il est élu président du Kenya en 2013, face à Odinga, et avec seulement 50,5 % des voix. Le perdant dénonce des tricheries, sans pour autant obtenir l’organisation d’une nouvelle élection.
Ce mardi, tous les analystes misent sur une victoire finale de l’actuel président. A moins que son éternel opposant, bon tacticien, ne parvienne à faire basculer le combat à la fin de la dernière reprise. Quoi qu’il arrive, il s’agit probablement du dernier épisode de cette bataille politique. Odinga, âgé de 72 ans, ne devrait pas remonter sur le ring lors de la prochaine élection en 2022. Alors que Kenyatta, 55 ans, pourrait se représenter.