«Un autre monde est possible.» Ce slogan au cœur de l'ADN de l'altermondialisme et étandard des forums sociaux mondiaux lancés en 2001 peut s'adresser au Venezuela. Pour qu'il trouve une issue loin de l'impasse autoritaire et des dérives liberticides qui l'ont miné au fur et à mesure que la révolution bolivarienne s'est fracturée. Celle-ci a perdu ce qui faisait sa force : un réel soutien populaire, un désir de redistribution, un changement démocratique par les urnes. Certes, la gauche s'est déchirée depuis la rupture portée, en 1998, par Hugo Chávez et son projet de société radical, alternatif et tiers-mondiste. Par son réformisme soft, le métallo brésilien Lula, porté au pouvoir fin 2002, s'est vite distancié du militaire populiste et de son hyperpersonnalisation du pouvoir. A défaut de changer le système (à l'image de leurs timides réformes agraires), les deux ont néanmoins incarné la résistance au néolibéralisme et aux corsets du FMI qui ont saigné le continent. Mais difficile de comparer leurs destins comme celui de leurs successeurs. Si Dilma Rousseff a été l'objet l'an passé d'un putsch institutionnel d'une droite revancharde et corrompue, Nicolás Maduro n'est pas la victime mais l'instigateur d'un braquage démocratique : le contournement du Parlement aux mains d'une opposition - revancharde, stérile et hétéroclite (lire ci contre) - via une Assemblée constituante qui s'est arrogée tous les pouvoirs. Si le Venezuela de Chávez a jeté les bases d'un réel Etat-providence (santé, logement, éducation, retraites, culture), il a commis l'erreur de conserver le même logiciel que l'oligarchie qu'il a combattue : la manne pétrolière. Une pomme empoisonnée et dévaluée que Maduro a croquée à pleines dents. Le post-chavisme a désinvesti dans le capital humain et zappé la nécessaire diversification de son économie. Il a concentré les pouvoirs, militarisé la démocratie, nourri le clientélisme, miné les libertés publiques, jugulé l'opposition. Et si les Etats-Unis rêvent de saper les bases d'un régime chancelant, l'anti-impérialisme ne peut plus nourrir une partie de la population gagnée par la malnutrition. Pourtant, alors que les Nations unies viennent de dénoncer «la criminalisation des manifestations» par des tribunaux non civils, le pouvoir accélère sa fuite en avant. Ne lui reste en guise de soutiens que le Nicaragua d'Ortega (qui nie la révolution sandiniste), le Cuba de Castro (qui nie l'émancipation humaine), l'Equateur et la Bolivie, et le frêle appui intéressé de Moscou, Pékin ou Téhéran. Il lui reste aussi une partie de cette gauche radicale qui peine à dénoncer l'arbitraire comme si cela revenait à ne faire que le jeu d'une oligarchie de droite. Le faire, ce n'est pas mettre un mouchoir sur les mouvements et les luttes d'un continent marqué au fer rouge par les inégalités, la violence et l'exclusion des plus démunis. Prendre ses distances avec un pouvoir qui bafoue les fondamentaux démocratiques n'est pas renier l'idée de progrès, de redistribution et d'équité. Dénoncer la logique incendiaire de Maduro, c'est au contraire un impératif pour qui milite pour le respect des droits humains et pense qu'un autre monde est vraiment possible.
Éditorial
Logique incendiaire
Manifestation anti-Maduro à Caracas, le 8 août. (Photo Ronaldo Schemidt. AFP)
par Christian Losson
publié le 11 août 2017 à 20h46
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