Environ 13 millions de kilomètres carrés d'océan pourraient être utilisés pour l'aquaculture, selon les conclusions d'une étude américaine publiée lundi dans Nature Ecology & Evolution. Pour en arriver à cette conclusion, l'équipe de biologistes marins s'est penchée sur les caractéristiques environnementales des océans, et a exclu les zones trop profondes, ou déjà utilisées par des activités militaires ou énergétiques. Elle a également regardé les zones où le taux de croissance des espèces étudiées était le meilleur. Ils se sont basés sur 120 espèces de poissons et 60 espèces de coquillages.
Les zones délimitées sont des zones côtières, dans des zones principalement tropicales mais aussi tempérées. Presque tous les pays ayant un accès à l’océan ont un potentiel pour l’aquaculture et seraient capables de répondre à leurs propres besoins en poissons et crustacés.
Si toutes ces zones étaient exploitées, cela permettrait de produire 15 milliards de tonnes de poisson, soit 100 fois la consommation mondiale actuelle. Il suffirait donc d’utiliser les zones les plus fertiles pour produire la quantité de poissons et crustacées consommée dans le monde à ce jour, soit seulement 0.015% de la surface totale de l’océan. Pour donner une idée, cela représente une zone de la taille de la Croatie.
Une réponse à l’insécurité alimentaire
Avec une population mondiale en pleine croissance, la problématique de l'alimentation est plus que jamais primordiale. «Je pense que l'aquaculture est une des choses qui peut changer la donne, explique Rebecca Gentry, la scientifique qui a dirigé l'étude. Cela a beaucoup de potentiel, il y a tellement d'espace !»
L'étude a pour but de montrer aux gouvernements et industries tout le potentiel que représente l'élevage de poissons. Mais pas de n'importe quelle manière. «Nous voulons vraiment nous pencher sur le côté durable pour l'environnement, insiste Halley Froehlich, une autre scientifique de l'étude. C'est pour cela que nous avons étudié les élevages au large.» L'impact écologique reste effectivement à approfondir. «Cette étude est une première étape, une base pour voir où l'aquaculture pourrait mener, souligne Rebecca Gentry. C'est important de réfléchir à où cela peut être implanté et ensuite à comment cela peut affecter l'environnement, et donc comment le gérer intelligemment.»
Pour les scientifiques derrière cette étude, il s'agissait vraiment de se donner une base pour ensuite tenter de trouver des modèles d'aquaculture ayant un impact écologique moindre. Certains des biologistes ayant contribué à l'étude ont d'ailleurs fondé l'Equipe de recherche sur l'aquaculture et la conservation, qui sera complètement dédiée à cette mission. Halley Froehlich, l'une de ses cofondatrices, se montre optimiste : «On voit déjà de gros progrès dans l'aquaculture sur les vingt dernières années.»
Une solution pas si miraculeuse que ça
Mais l'aquaculture n'est pas forcément l'alternative que l'on imagine à la surpêche. La raison est simple : s'il existe des espèces herbivores, la plupart des élevages sont de carnivores, comme le saumon. Pour les nourrir, il faut pêcher des poissons sauvages, qui sont ensuite broyés pour faire des farines animales. «Aujourd'hui, environ 20% des captures mondiales sont destinées à l'aquaculture», explique Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l'association de protection des océans Bloom.
Des élevages d'espèces herbivores pourraient être développés. Mais le plus grand problème posé par l'aquaculture demeure la pollution qu'elle cause. «L'aquaculture actuelle est industrielle, et elle pollue, raconte François Chartier, chargé de campagne océans chez Greenpeace. Ils utilisent des pesticides, des antibiotiques, rejettent des déjections et utilisent tout l'oxygène des espaces utilisés. Ce sont exactement les mêmes problèmes que l'agriculture intensive.» Avec au bout du compte un produit moins qualitatif.
«Les zones identifiées par cette étude sont côtières. Or ce sont déjà les zones les plus polluées par l'homme, s'inquiète Frédéric Le Manach. Cela risque d'ajouter encore au problème.»
Vers une aquaculture bio?
Les législations des différents pays, plus ou moins protectrices, de l'environnement doivent aussi être prises en compte. «Quand on prend l'exemple des géants norvégiens du saumon, ce sont les mêmes entreprises que l'on retrouve au Chili, avec des régions contaminées, démontre François Chartier. C'est tout simplement parce que la législation est moins stricte.» Et l'aquaculture ne représente pas nécessairement le tremplin économique que l'on imagine. «Le saumon produit au Chili, l'est pour les marchés européens et nord-américains, continue le représentant de Greenpeace. Cela ne bénéficie pas forcément aux pays en développement ou aux petits pêcheurs locaux.»
Pour autant, les associations ne rejettent pas l'aquaculture en soi mais la façon dont elle est pratiquée. «Pourquoi pas utiliser la bande littorale pour produire du poisson, tempère Frédéric Le Manach. Mais pas en production industrielle. Il faut une bonne aquaculture, pas trop dense et sans antibiotique.» Pour lui, il existe des solutions alternatives pour la rendre plus respectueuse: «On peut utiliser des invendus alimentaires pour faire des élevages de larves, servant à nourrir les poissons. Il y a aussi l'aquaculture multitrophique intégrée. Cela consiste à mettre plusieurs espèces ensemble : algues, huîtres, poissons… Toutes les espèces peuvent alors se nourrir et s'utiliser mutuellement.» Une aquaculture bio qui reste à développer.