L'accident de trop. Après la collision survenue lundi matin entre le destroyer américain USS John S. McCain et un navire marchand, la deuxième du genre en un peu plus de deux mois, la Navy a ordonné «une pause opérationnelle» dans le monde entier. Dans un message vidéo, l'amiral John Richardson, chef des opérations de la marine américaine, a reconnu que cette «tendance» exigeait «une action plus vigoureuse». Si le concept de «pause opérationnelle» demeure flou, et qu'il semble hautement improbable que la marine la plus puissante du monde décide brutalement de suspendre toutes ses opérations, cette rare prise de parole témoigne d'une prise de conscience. Conséquence des pertes humaines enregistrées ces derniers mois à bord de navires de guerre américains.
Près du détroit de Malacca, où le USS John S. McCain, qui faisait route vers Singapour, a heurté avant l'aube le pétrolier Alnic MC, les recherches, menées par des avions et bateaux dépêchés sur place par Singapour, la Malaisie et les Etats-Unis, se poursuivaient lundi soir. Mais l'espoir de retrouver vivants les dix marins de l'USS John S. McCain est infime. Le choc, survenu à 5 h 24, a été violent. «Des dégâts significatifs à la coque ont provoqué l'inondation des compartiments voisins, y compris les couchages, la salle des machines et la salle de radio», précise l'US Navy dans un communiqué. Les images montrent un trou béant dans la coque sur le flanc gauche du destroyer.
Gabarit. Outre les dix disparus, sans doute pris au piège dans des compartiments inondés ou projetés en mer lors du choc, cinq membres d'équipage ont été blessés. Aucune victime n'est à déplorer à bord de l'Alnic MC, un tanker battant pavillon libérien et pouvant transporter jusqu'à 30 000 tonnes de pétrole et de produits chimiques.
Compte tenu du gabarit des deux navires (plus de 180 mètres de long pour l'Alnic MC, 154 mètres pour le John S. McCain), cette nouvelle collision soulève de nombreuses questions. Certes, le détroit de Malacca - entre Singapour, l'Indonésie et la Malaisie - est la seconde route maritime la plus empruntée au monde, selon le World Economic Forum. Mais cela ne suffit pas à expliquer qu'un navire de guerre américain ait été incapable d'éviter l'accident. «Comment un destroyer de pointe de la Navy, équipé de nombreux systèmes de radars, de matériel de communication et d'un poste de surveillance actif en permanence, peut ne pas voir, détecter et éviter un monstre de 30 000 tonnes avançant seulement à 10 nœuds ?» s'interroge sur CNN l'analyste militaire Rick Francona.
Le 17 juin déjà, une collision au large du Japon entre le destroyer USS Fitzgerald et un porte-conteneurs philippin avait causé la mort de sept marins. Le choc, survenu également en pleine nuit, avait provoqué un trou de plus de quatre mètres sur cinq par lequel l'eau s'était engouffrée, inondant la salle des machines, la salle de radio et des espaces de couchage, dans lesquels des plongeurs avaient retrouvé les corps sans vie des victimes, âgées de 19 à 37 ans.
Rendu public la semaine dernière, un rapport préliminaire de la Navy décrit les moments ayant suivi cette première collision. En moins de quatre-vingt-dix secondes, un compartiment où dormaient 35 marins a été totalement inondé. 28 ont réussi à s'échapper grâce à une échelle conduisant à un étage supérieur. Les autres ont péri noyés. Même si l'enquête sur les causes précises de la collision se poursuit, des premières sanctions ont déjà été prises par la marine américaine. Le commandant du navire, son adjoint et un autre gradé (qui dormaient tous au moment du choc) ont été relevés de leur fonction. Au total, une douzaine de membres d'équipage, dont tous ceux qui étaient de garde cette nuit-là, devraient être sanctionnés. Pour avoir, selon les termes officiels de la Navy, «perdu la conscience situationnelle» du navire. En clair : pour n'avoir pas su anticiper et éviter la collision.
Surmenage. Selon les experts, seul un enchaînement d'erreurs humaines, comme dans le cas du USS Fitzgerald, semble pouvoir expliquer l'accident de lundi. «La nuit, des navires comme le USS John S. McCain sont souvent aux mains d'officiers relativement jeunes, entre 22 ans et 24 ans. Ils sont appuyés par des officiers au poste radar et d'autres observant l'extérieur depuis le centre de commandement. Pour que le John S. McCain heurte l'Alnic MC, une poignée de fonctions séparées dans la chaîne de sécurité ont dû échouer», confie au New York Times, sous couvert d'anonymat, un officier de la marine américaine. Dans son message, l'amiral Richardson a annoncé lundi une révision des processus de formation, notamment en matière de navigation. La question du surmenage des équipages, sur fond d'accélération des opérations maritimes américaines dans la région et de tensions avec la Corée du Nord, risque aussi de se poser.