Après la vidéo prise à Tanger le 30 juillet d’une femme seule dans un bus à Casablanca, traquée en plein jour par une horde de jeunes hommes, la vidéo d’une agression sexuelle à la limite du viol collectif a tourné en boucle dans la nuit de dimanche sur les réseaux sociaux. On y voit cinq ou six adolescents encercler, déshabiller, violenter une jeune fille. Alors qu’elle hurle au secours, aucun passager n’intervient. Selon la presse locale, quatre des six suspects, âgés de 15 à 17 ans, ont été arrêtés lundi.
Au Maroc, les deux tiers des cas de violences sexuelles se déroulent dans l'espace public, selon les chiffres de l'Observatoire national de la violence faite aux femmes. Il s'agit, dans plus de 90 % des cas, de viols ou de tentatives de viol dont les victimes sont principalement des femmes de moins de 30 ans. Loin d'être une évidence, la mixité sociale dans l'espace public provoque des réactions primaires du genre : «Mais qu'est-ce qu'elle vient faire là [cette femme, dans mon espace] ?» note le sociologue Abdessamad Dialmy. Une hostilité forte, qui peut se manifester sous forme de «drague lourde» ou sous forme de violences sexuelles. La sociologue et militante féministe Soumaya Naamane Guessous voitdans ces violences récurrentes des raisons historiques : «Jusque dans les années 60, les femmes n'ont pas le droit d'accéder à l'espace public. Dans les mentalités, la femme dans la rue est une proie potentielle ou une bête à abattre.»
Frustration. Cela dit, les deux sociologues s'accordent pour désigner le responsable majeur de la multiplication des agressions contre les femmes dans les lieux publics : la frustration sexuelle des Marocains. Ils vivent dans une société où les relations sexuelles hors mariage sont haram («interdites») et punies d'emprisonnement d'un mois à un an. Pour Abdessamad Dialmy, les comportements dévoilés par ces vidéos sont «prévisibles dans une société comme la nôtre». Une société où «la valeur d'un homme est la virilité, quand celle de la femme est la virginité», précise Soumaya Naamane Guessous. Ce contexte, saupoudré de pornographie et d'absence d'éducation sexuelle dans les politiques publiques, à l'école comme à la maison, incite les jeunes hommes à se comporter «comme des taureaux enragés». Et une véritable omerta s'empare des éventuels témoins de tels actes, confortés par des réflexions culpabilisantes pour les victimes, de type «elle l'a bien cherché». Toujours pour Soumaya Naamane Guessous, l'idée selon laquelle «il faut que le citoyen protège la "oumma" [communauté musulmane] du chaos» circule dans les milieux salafistes, et est largement reprise par les chaînes satellitaires comme Al-Jezira, dans les mosquées et au sein des établissements scolaires, notamment via les cours d'éducation islamique.
Au Maroc, seul le harcèlement sexuel au travail - qui consiste à «abuser de l'autorité qui lui confère ses fonctions», pour reprendre les termes de la loi - est reconnu et passible d'un à deux ans de prison. Un projet de loi plus large sur le harcèlement sexuel serait cela dit en cours. Mais «il y a la loi, ceux qui l'exécutent et l'opinion publique», nuance Soumaya Naamane Guessous, qui soupçonne de nombreux agents de police de laxisme.
«Crime». Joint par Libération, et commentant l'affaire de Casablanca, Mustapha Ramid, ministre des Droits de l'homme et haut dirigeant du parti islamiste au pouvoir, condamne ce «crime». «Les agressions contre les femmes dans l'espace public ont toujours existé. Ce qui change, c'est leur médiatisation sur les réseaux sociaux», dit le ministre d'Etat. Et de poursuivre, sans évoquer quelque mesure que ce soit, d'un : «Les agressions contre les femmes existent partout, pas seulement au Maroc.»