Peter Madsen, l'inventeur du Nautilus, le sous-marin dans lequel la journaliste suédoise indépendante Kim Wall, 30 ans, a disparu il y a dix jours, a fini par céder face aux enquêteurs. Après avoir affirmé en premier lieu qu'après leur rencontre, la journaliste était restée sur la presqu'île de la capitale, près d'un restaurant en face de la petite sirène de Copenhague, il a avoué qu'il avait jeté son corps à la mer. «L'accusé a expliqué à la police et au tribunal qu'il y avait eu un accident à bord, ayant conduit à la mort de Kim Wall, et qu'il l'avait par conséquent jetée dans la mer, dans une zone encore non définie de la baie de Koge», a annoncé la police de Copenhague, ce lundi 21 août. Il reste pour le moment accusé d'homicide involontaire.
Le 10 août, à 19 heures, Peter Madsen et Kim Wall embarquent à bord du submersible artisanal Nautilus – le plus grand du monde lorsqu'il a été construit en 2009, avec ses 18 mètres carrés. Ils partent de Copenhague. A 2 h 30, le petit ami de la journaliste alerte les autorités, inquiet qu'elle ne soit pas revenue. Le lendemain matin, peu après 10 heures, les policiers retrouvent enfin la trace du sous-marin, dans la baie de Koge, au sud de la capitale danoise. Peter Madsen est secouru, mais le Nautilus coule soudainement. Quelques jours plus tard, la police confirme que selon l'enquête, ce naufrage était la cause d'un acte délibéré. Mais toujours aucune trace de Kim Wall. L'inventeur prétend d'abord l'avoir déposé à la pointe de Refshaleoen, une zone industrielle de Copenhague.
Malgré l’aveu de Peter Madsen, le corps n’a toujours pas été retrouvé, et les autorités danoises et suédoises le recherchent toujours avec des moyens importants : plongeurs, navires, hélicoptères, et avions.
«Les histoires de gens insolites, différents»
Kim Wall avait décidé de faire le portrait de cet inventeur de 46 ans, à la fois créateur de sous-marins et passionné de fusées. «Je lui avais parlé il y a deux semaines, et elle n'avait rien mentionné. Mais cela semblait être une histoire pour Kim. Elle était toujours fascinée par les histoires de gens insolites, différents, les endroits cabossés, raconte à Libération la journaliste italienne Caterina Clerici. Elles s'étaient rencontrées alors qu'elles étudiaient à Londres, en passant le concours pour intégrer l'école de journalisme de Columbia.
Celle qui était son amie et collaboratrice ne semble pas étonnée que Kim soit partie sur ce sujet sans être missionnée par un média. «Elle faisait ça presque tout le temps. Quand on a commencé ensemble, on est parties toutes les deux à Haïti sur un coup de tête, parce que les vols n'étaient pas chers, confie-t-elle. Puis on a candidaté pour une bourse, on y est retournées grâce à ça, et on a été publiées, notamment dans Libération.» Kim Wall avait été publiée dans d'autres grands quotidiens, dont le New York Times ou le Guardian, mais elle n'avait pas de partenariat stable avec un média spécifique.
La condition précaire des femmes journalistes indépendantes
«Je me souviens particulièrement de son incroyable sens de l'humour, elle avait une personnalité magnétique, tout le monde l'aimait et voulait l'aider, raconte Nadine Hoffman, directrice adjointe de l'International Women's Media Foundation (IWMF), une fondation américaine de soutien aux femmes journalistes, notamment dans les zones de conflit, avec laquelle Kim s'était rendue en Ouganda. Nadine Hoffman était au Soudan du Sud lorsqu'elle a appris, effarée, sa disparition. «Nous savons que les femmes avec qui nous travaillons sont confrontées au danger partout dans le monde, mais de savoir que cela s'est passé au Danemark, un pays relativement sûr pour les femmes, nous rappelle que notre communauté est en danger partout, explique-t-elle. C'est un problème que le milieu médiatique ne combat pas encore assez sérieusement.»
Beaucoup de femmes journalistes indépendantes ont réagi avec émotion sur les réseaux sociaux. «Sa disparition […] me met en colère contre une industrie qui assume si peu leurs responsabilités envers les journalistes indépendantes», a écrit sa collègue et amie Sonia Paul sur Facebook lundi. «Les femmes free-lance travaillent ardemment pour s'assurer que leur genre ne soit pas considéré comme un handicap. Elles se taisent face aux dangers qu'elles affrontent, effectuant parfois des reportages avant même qu'ils aient été commandés, écrivait son amie, la journaliste Sruthy Gottipati, dans le Guardian, le 20 août. Et de conclure : «C'est un rappel effrayant que la sécurité des femmes ne peut pas être balayée comme un problème spécifique aux pays en développement. Comme si l'Occident était immunisé contre la misogynie…»