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Libération

Les Presses universitaires de Cambridge dans le piège chinois

A la demande de Pékin, la maison d’édition de l’université anglaise a censuré certains de ses articles en ligne, avant de rétropédaler.
Campus de Cambridge en 2009, Royaume-Uni. (Photo Loic Vennin. AFP)
publié le 22 août 2017 à 20h06

Après un week-end cauchemardesque, fait rare dans le monde feutré de l’édition, la Cambridge University Press pensait avoir enfin éteint l’incendie. Critiquée par les sinologues du monde entier pour avoir retiré, vendredi, sur ordre de Pékin, 315 articles universitaires de ses bases de données en Chine, la plus ancienne maison d’édition au monde a fait volte-face, quatre jours plus tard, en les remettant en ligne.

Lundi, dans un bref communiqué, l'éditeur rattaché à l'université de Cambridge a en effet promis de republier «immédiatement» le contenu qui avait déplu aux autorités chinoises, afin de «respecter le principe de liberté académique», d'abord malmené par l'université britannique… Et surtout pour retrouver du crédit aux yeux de la communauté scientifique.

Bible. Revers de la médaille, la riposte des autorités chinoises a été tout aussi immédiate. Mardi, le régime communiste a attaqué une deuxième revue, domiciliée aux Etats-Unis, mais dont la version électronique est éditée à Cambridge. Cette fois, le pouvoir a ordonné le blocage depuis la Chine d'une centaine d'articles, parus dans le Journal of Asian Studies. Quant aux 315 textes originellement incriminés - sur le Tibet, le mouvement prodémocratie de 1989, etc. -, ils avaient été publiés dans le China Quarterly, revue académique de référence pour ceux qui étudient le «monde chinois»(Chine continentale, Taïwan et Hongkong).

Fondée en 1960 et publiée par Cambridge, elle était devenue au fil des ans la véritable bible de la sinologie à travers le monde. Son rédacteur en chef, Tim Pringle, a été le premier à faire éclater l'affaire, vendredi. Dans un communiqué posté sur Twitter, ce professeur s'est dit «très inquiet et déçu» par la décision de l'université britannique de se soumettre aux desiderata des deux sociétés d'Etat chinoises, qui contrôlent l'importation des contenus académiques en Chine. «Les chercheurs du monde entier choisissent de publier leur travail dans le China Quarterly précisément pour notre haute exigence et notre impact», a-t-il tempêté. Son message a mis en émoi tous les sinologues. Et obligé la prestigieuse université, située à 100 kilomètres au nord de Londres, à dégainer les éléments de langage de crise.

Le jour même, Cambridge a confirmé avoir reçu une «instruction» des autorités chinoises, exigeant que ces articles ne soient plus consultables à l'intérieur du pays. L'université a coopéré, pensant ainsi préserver l'accès du public chinois à tout le reste de ses ressources. «Ils ont peut-être fait une simple analyse coût-bénéfice, en se disant qu'il valait mieux sacrifier ces 300 articles plutôt que de mettre en danger leurs autres projets en Chine», explique Suzanne Pepper, chercheuse américaine installée à Hongkong, auteure d'un article passé à la trappe (sur l'ex-colonie britannique).

Tour de vis. Mais la colère de la communauté scientifique n'a fait que croître. Une pétition sur le site change.org réunissait, mardi, plus de 1 100 signatures. «Les Presses universitaires de Cambridge étaient à deux doigts d'être conduites vers la porte de sortie. L'université a pris cette décision relativement simple pour pouvoir rester sur le marché chinois, compatit Christopher Balding, professeur à l'université de Pékin à l'origine de la pétition. On n'est pas en mesure de négocier avec les autorités chinoises dans ces situations. On obéit ou on s'en va. Il n'y a donc aucune bonne solution. […] Cela dit, trop d'universités sont complaisantes avec les autorités chinoises. J'espère que cette affaire va les forcer à repenser leurs rapports avec le gouvernement.»

Depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping, début 2013, l'étau s'est resserré sur les ONG, les journalistes ou encore sur les avocats des droits de l'homme. Les universités chinoises n'ont pas échappé au tour de vis. Sur les campus du pays, les professeurs chinois, autrefois accessibles, ne soufflent plus un mot à la presse étrangère. «En Chine, au début des années 2000, les autorités facilitaient l'accès aux archives, y compris pour les chercheurs occidentaux, se souvient Suzanne Pepper. A présent, ça se referme.» Malgré le soutien d'universitaires chinois qui poussent pour qu'un de ses livres sur la révolution culturelle (publié en 1996 par Cambridge University Press) soit traduit en mandarin, il dort depuis dix ans dans les tiroirs des censeurs de Pékin.