«Prenez une décision : soit nous avançons ensemble en donnant de l'impulsion au processus, soit vous nous dites clairement que vous ne voulez pas de nous», demandait récemment aux leaders de l'Union européenne le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu. Après douze années de négociations d'adhésion infructueuses (aujourd'hui à l'arrêt), l'exécutif turc fait encore officiellement mine de croire à l'entrée de son pays au sein de l'UE. Pourtant, en coulisses, la question semble déjà tranchée. «Du côté turc, comme du côté européen, on sait que le projet est mort depuis plusieurs années, mais personne ne veut formellement prendre la responsabilité de le dire. Parce que personne ne peut dire ce qu'il adviendra ensuite», estime le politologue turc Soli Özel.
Le 24 août, le chef de la diplomatie allemande, Sigmar Gabriel, lui, ne semblait pas traversé par le doute : «Il est clair qu'en l'état actuel, la Turquie ne deviendra jamais un membre de l'UE.» Et de rajouter : «Ce n'est pas parce que nous ne les voulons pas, c'est parce que le gouvernement turc et Erdogan s'éloignent rapidement de ce que l'Europe défend.» En cause notamment, les vastes purges menées après le coup d'Etat manqué du 15 juillet 2016 et les nombreuses atteintes aux libertés fondamentales, régulièrement critiquées par les partenaires européens d'Ankara, l'Allemagne (dont plusieurs ressortissants sont emprisonnés en Turquie) en tête.
«Il n’y a pas d’alternative»
Face à l'impasse du processus d'adhésion et les accrochages diplomatiques constants entre la Turquie et l'Union européenne, le président Recep Tayyip Erdogan porte son regard vers l'Est et l'Organisation de coopération de Shanghai : une union régionale (politique, économique et sécuritaire) menée par la Russie et la Chine. Des discussions sur une éventuelle d'adhésion sont évoquées dans la presse mais jamais suivies d'effets. Un projet «inimaginable» pour Sinan Ülgen, le président du Center for Economics and Foreign Policy Studies. «Il n'y a pas d'alternative économique pour la Turquie. C'est impossible quand on regarde le degré d'interdépendance avec l'Union européenne qui représente 50% des débouchés pour les exportations turques et 70% des investissements directs étrangers en Turquie.»
«Coopération temporaire»
Pour sa politique sécuritaire, Ankara est également accusé depuis plusieurs mois de progressivement tourner le dos à ses alliés traditionnels et notamment aux membres de l’Otan, dont la Turquie fait partie depuis 1952. En l’espace d’un an, l’exécutif turc a en effet opéré plusieurs rapprochements diplomatiques avec la Russie et l’Iran, provoquant de vives inquiétudes au sein de l’organisation atlantiste, et particulièrement des Etats-Unis. Des rapprochements qui ont permis à Ankara de peser à nouveau dans le dossier syrien - où Téhéran et Moscou jouent un rôle de premier ordre aux côtés de Bachar al-Assad - et de participer ainsi aux négociations parallèles sur le règlement du conflit, à Astana.
Une politique qui s’est encore poursuivie durant l’été. Il y a deux semaines, après une visite historique du chef d’état-major iranien à Ankara, Erdogan avançait l’hypothèse d’une opération conjointe avec la République islamique - pourtant rival idéologique et politique dans la région - contre les bastions de l’organisation terroriste du PKK, et de sa branche iranienne, le PJAK, dans le nord de l’Irak. Mais là encore, les analystes turcs se veulent prudents.
«La Turquie veut surtout envoyer des messages de frustrations envers ses partenaires traditionnels, comme les Etats-Unis [qui soutiennent en Syrie et en Irak des éléments militaires liés au PKK pour lutter contre l'Etat islamique, ndlr]. Il ne s'agit pas de revirement stratégique, mais de coopération pragmatique et temporaire», estime Sinan Ülgen. Qui veut croire que «la Turquie ne pourra pas remplacer le soutien et la solidarité de l'Otan».