Représenter Kim, son père et son grand-père avant lui, en une famille de dégénérés, paranoïaques et excentriques a au moins deux vertus. La première, c’est qu’elle sert le statu quo, faisant passer les puissances nucléaires officielles pour les membres d’un respectable club de joueurs de bridge. Certes, la dissuasion nucléaire, qui repose sur la rationalité de ces puissances, a montré depuis soixante-dix ans que l’équilibre de la terreur fonctionnait. Si le pire a bien failli arriver, on préfère quand même que les clés des ogives soient entre les mains de chefs d’Etat soumis à des contre-pouvoirs plutôt qu’entre celles d’un héritier super-méchant irrationnel dont on ne sait pas grand-chose et dont le régime impose une ubuesque dictature à son peuple. Mais si, au contraire, le leader nord-coréen était mu par une imparable logique ? Il faudrait alors voir ses «provocations» et sa propagande loufoque comme des moyens de maintenir son régime à flots. Les destins, fatals, de Saddam Hussein, qui ne possédait pas d’armes de destruction massive, et de Kadhafi, qui y avait renoncé, ne sont pas là pour rassurer le chef suprême nord-coréen. De son point de vue, il semble qu’il vaut mieux avoir VRAIMENT la bombe et passer pour celui qui n’hésitera pas à s’en servir, quitte à passer pour le fou de service.
Car il y a un autre avantage à jouer au dingue : inciter à modérer les ardeurs des autres acteurs. C’est la fameuse «théorie du fou» de Nixon. Mais si tout ceci est un jeu de dupes, pourquoi alors ne sommes-nous pas rassurés ? Quand le monde a soulevé une paupière avec inquiétude, dimanche matin, après l’annonce de l’essai nucléaire nord-coréen, l’autre paupière s’est réveillée tout aussi inquiète en se demandant comment Trump allait réagir. Car le président américain, par son incompétence crasse et ses jugements à l’emporte-pièce, se retrouve aujourd’hui dans la même position que Kim : il est le fou de l’histoire, le doigt sur le bouton rouge, qui promet la rage et le feu à son adversaire. La théorie du fou, qui fait que personne ne l’est réellement, est rassurante. Mais que se passe-t-il quand il y a deux fous dans la pièce ? Ou deux faux fous ?