Dans les heures qui suivent une catastrophe naturelle du type d'Irma, une course contre la montre s'engage. Il faut vite acheminer les besoins essentiels pour éviter les contagions et les épidémies et soigner les victimes : abris, tentes, couvertures, aliments, médicaments etc. «L'eau est la toute première des priorités car qui dit ouragan dit contamination des sources d'eau potable. Il faut éviter que les survivants et les blessés qui sont déjà vulnérables le deviennent plus», explique Emilie Martin, responsable des urgences à l'ONG Care France qui intervient à Haïti et à Madagascar (frappé par Enawo en mars). «Il ne s'agit évidemment pas de distribuer des bouteilles d'eau en plastique, ajoute Olivier Routeau, responsable urgence à l'ONG Première urgence internationale, mais de distribuer des capsules de potabilisation de l'eau pour les individus et installer des stations d'eau sûres à l'échelle collective d'un abri, d'un gymnase. Puis, très vite, il faut donner de la nourriture.» Les populations sont souvent très vulnérables.
Avec les eaux polluées et stagnantes, le risque est grand d'une explosion des maladies. «Le choléra n'est pas difficile à traiter, mais il est très mortel et extrêmement contagieux», poursuit Routeau. L'accès au soin est l'une des urgences avec de nombreux blessés par coupures, chocs et divers traumatismes. Lors du passage de Haiyan aux Philippines en novembre 2013, plus de 28 000 personnes avaient été blessées et 7 400 morts et disparus avaient été comptabilisés. Les secouristes ont dû vite chercher dans les décombres, les champs et les réserves d'eau les corps des victimes pour prévenir une vague d'épidémies.
«Il faut dépêcher des petites unités mobiles dans les villages, les quartiers, qui pourront traiter plus facilement les blessés. Cela évite que les hôpitaux, s'ils sont encore debout, soient trop encombrés», détaille Olivier Routeau. Très souvent, les infrastructures sont ravagées. «Il y a un an, après le passage de Matthew à Haïti, des villages entiers étaient à terre, comme si une bombe avait tout rasé. Même le paysage donnait l'impression d'avoir été brûlé. C'était un champ de ruines. Il a fallu dégager des routes pour laisser passer les secours.»
Câble sous-marin
L’évacuation des débris est la seconde étape, cruciale. A Tacloban, ville qui avait essuyé des vents de 315 km/h aux Philippines en 2013, la route reliant le centre-ville à l’aéroport était restée encombrée, retardant l’acheminement de l’aide et des secouristes. Auparavant, les pistes d’atterrissage de l’aéroport avaient été nettoyées.
C'est une des priorités après le passage d'Irma. L'aéroport de Saint-Martin doit être désensablé pour permettre aux avions de se poser. C'est une des missions des 100 militaires projetés jeudi en début de matinée vers les îles sinistrées. Mais pas la seule. Il faut aussi, comme l'explique un gradé de la Direction générale de la gendarmerie, «stabiliser la situation des personnes qui se trouvent encore en zones très inondées et rétablir le plus rapidement possible les communications».
En attendant le retour des communications pour le grand public - Orange a officiellement remis en état le réseau mobile (mais il est saturé et difficilement utilisable) et SFR a subi la catastrophe de plein fouet : un câble sous-marin a lâché du côté de Saint-Martin -, un réseau d'urgence est en cours de montage avec l'aide précieuse de radioamateurs au service de la sécurité civile. L'American Radio Relay League (ARRL), la plus grande association de radioamateurs américaine, diffusait dès mardi une liste de fréquences à utiliser pour contacter les îles touchées. «Certaines fréquences sont réservées aux radioamateurs pour les cas d'urgence», comme aujourd'hui, nous explique Gaël Musquet, radioamateur français. Il s'agit d'ondes dans le spectre de la haute fréquence (HF), idéales pour désenclaver les îles et communiquer à l'international car elles ont une portée de plusieurs milliers de kilomètres. «Leur utilisation permet de coordonner les services de l'Etat - parce qu'à Saint-Martin la préfecture est tombée -, transmettre des données météorologiques, des listes de personnes disparues ou qui au contraire signalent qu'elles sont vivantes…» De son côté, l'ONG Télécoms sans frontières arrivera aux Antilles ce vendredi avec des téléphones et équipements satellitaires.
«Cabanes»
Mais après l'urgence de la mise à l'abri, il va falloir reconstruire. Et le faire le plus vite possible. Architectes de l'urgence est une ONG française qui intervient depuis quinze ans sur des sites frappés par des séismes ou des cyclones. De cette expérience, l'organisation a tiré une philosophie claire : «Il ne faut pas mobiliser les ressources pour de l'hébergement non durable, explique Alice Moreira, directrice de la structure. Dès qu'on est dans une logique d'abris, on va mobiliser des moyens que l'on n'arrivera pas à remobiliser pour le pérenne.» Il n'est évidemment pas question de laisser les gens sans protection: «Il faut réparer ce qui est réparable puis passer le plus vite possible à la construction.» Architectes de l'urgence a développé des abris modulables qui permettent «de faire patienter» les sinistrés «sans mobiliser ni l'espace ni les finances», à condition de démarrer vite les vrais chantiers. «Aux Philippines, trois semaines après le cyclone Yolanda, la reconstruction commençait», ajoute-t-elle.
Interrogé ce jeudi sur France Info, l'architecte Patrick Coulombel, cofondateur de l'association, a été encore plus net: «Je m'inscris en faux contre les cabanes et contre tout ce genre de saloperies qui ont été posées, notamment en Haïti.» «Nous défendons la plus-value de la valeur technique, dit Alice Moreira. Construire, c'est un métier.» Egalement une occasion de remonter les exigences d'un cran et d'appliquer les normes. Mais la destruction à Saint-Martin de la préfecture et de la caserne des pompiers montre que même les pouvoirs publics les oublient.