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Terrorisme

Sinaï : les forces de sécurité égyptiennes dans le collimateur des jihadistes

Selon le ministère de l’Intérieur, une voiture a explosé au passage d’un convoi de soldats dans la ville de Bir al-Abed, dans le nord de la région. Une fusillade a éclaté près du lieu de l’explosion, faisant plusieurs blessés.
Un véhicule militaire égyptien, en mai 2015 dans la partie nord du Sinaï. (Photo Asmaa Waguih. Reuters)
publié le 12 septembre 2017 à 19h16

Au moins dix-huit personnes sont mortes lundi dans l'attaque d'un convoi des forces de sécurité dans le nord du Sinaï. L'attaque s'est produite sur la route reliant Al-Qantara à Al-Arich alors que les forces de sécurité menaient une opération de ratissage de la zone. Un véhicule s'est alors introduit dans le convoi avant d'exploser, a indiqué le ministère de l'Intérieur. Des tireurs embusqués ont ensuite ouvert le feu, faisant également plusieurs morts et blessés.

Depuis la destitution en 2013 de l'islamiste Mohamed Morsi par l'armée égyptienne, les forces de sécurité sont dans le collimateur des salafistes. Le 30 juin 2015, le Sinaï subit une attaque particulièrement meurtrière, faisant 70 morts. Plus récemment, deux attentats en juillet qui ont coûté la vie à 37 personnes. Des bilans lourds qui laisseraient penser que l'armée égyptienne peine à paralyser les djihadistes.

«Daech ne fait que couronner l’attaque»

Si Daech a revendiqué l'attentat, pour Tewfik Aclimandos, chargé de cours à l'université du Caire et à l'Université française d'Egypte, l'organisation terroriste ne fait que couronner l'attaque. L'existence de tribus salafistes recroquevillées dans le nord du Sinaï précède celle de l'Etat islamique. En octobre 2004, l'Egypte découvre que des radicaux se sont implantés dans le nord du Sinaï pendant les années 90, quand le pays est frappé par un attentat qui fait plus de 30 victimes, tuées par l'explosion d'une voiture bourrée d'explosifs à l'hôtel Hilton, proche de la frontière israélo-égyptienne.

Né de la radicalisation de plusieurs tribus, ce groupe salafiste était sévèrement réprimé sous Moubarak. Composé d'environ 150 personnes, il est longtemps resté retranché dans les montagnes sans pouvoir organiser une nouvelle attaque. Mais le gouvernement n'a jamais réussi à les faire totalement disparaître. A partir de 2011, pendant la révolution, la transition et le règne de Mohamed Morsi, les combattants ont même eu le temps de grossir leurs troupes, nouer des liens avec leurs homologues à Gaza, connaître un renouveau.

Des tribus salafistes soutenues par Hamas

Les salafistes jihadistes du Sinaï sont étroitement liés au Hamas, mouvement islamiste palestinien. «Ces tribus ont des bases et des sources d'approvisionnement à Gaza. Même si le Hamas nie être impliqué dans les attentats perpétrés par ces terroristes, il a au moins laissé faire puisque c'est lui qui a le contrôle des tunnels», souligne Tewfik Aclimandos.

Les services secrets turcs et qataris seraient eux aussi impliqués, selon le spécialiste égyptien : «Ils sont présents à Gaza et au courant de ce qui se passe, c'est certain. Les Egyptiens disent même qu'ils participent. C'est peut-être une excuse de mauvais perdant, mais je ne la trouve pas complètement absurde même si, pour le moment, il n'y a aucune preuve.»

Action du gouvernement ralentie

La vraie difficulté pour l'armée égyptienne est d'empêcher le renouvellement des troupes salafistes du Sinaï. «Le renouvellement ne se fait même plus sur des critères jihadistes, mais sur des critères tribaux, ajoute le chercheur. Celui qui a des comptes à régler, qui a perdu son frère, son cousin, rejoint le groupe. Ce conflit, c'est une clé qui ne ferme pas.»

Les négociations sont de plus en plus difficiles, d'autant plus que les conditions que veulent soumettre les jihadistes au gouvernement sont inacceptables : ils exigent entre autres d'être armés. Face à ce type de revendications, Tewfik Aclimandos approuve l'initiative de l'armée égyptienne de repenser son déploiement, à commencer par la coupure des flux d'approvisionnement. «C'est une des raisons pour lesquelles Al-Sissi est en train de se rapprocher de Hamas», précise le spécialiste égyptien, en faisant référence à la récente visite du chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, au Caire, pour la première fois depuis son élection à la tête du mouvement palestinien en mai. En effet, le Hamas multiplie les efforts pour s'allier Le Caire : prise de distance avec les Frères musulmans, mais aussi engagement dans la lutte contre les salafistes au Sinaï. Des efforts que le mouvement palestinien aimerait voir récompensé par une levée du blocus égyptien à Gaza.

Amener plus d'Egyptiens de la vallée du Nil au Sinaï est un autre moyen de pression que pourrait employer l'Etat. «C'est une logique étatique, déjà engagée dans la péninsule en 2006, qui a fait ses preuves : l'Etat avait construit une université qui a été un succès et qui a attiré beaucoup d'Egyptiens de la Vallée au Sinaï. C'était un facteur calmant, qui a fait marcher l'économie», explique Tewfik Aclimandos. Selon lui, le gouvernement d'Al-Sissi devrait relancer cette stratégie.

«Périmètre limité»

Le nord du Sinaï est le théâtre d'attentats réguliers infligeant d'importantes pertes au gouvernement. Un policier se ferait tuer chaque jour. Pour autant, le chercheur égyptien refuse de parler d'échec : «On ne peut pas dire que l'Etat est incompétent. Ces salafistes restent circonscrits dans un périmètre limité, environ 10% du territoire de la péninsule. L'échec serait de les voir prendre le contrôle du centre et du sud du Sinaï», conclut Tewfik Aclimandos.

L’avenir n’est pas rassurant. Si le groupe islamiste peine à monter des opérations de grande envergure comme celle de juin 2015, ils se rabattent sur des dispositifs improvisés et sur des snipers que le gouvernement à encore plus de mal à combattre.