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Money money

En coulisse, les sénateurs américains torpillent le budget Trump

Pour augmenter le budget militaire, Donald Trump voulait tailler dans tout le reste, à commencer par la diplomatie. Dans un rare consensus bipartisan, sénateurs républicains et démocrates viennent de rejeter ces coupes drastiques.
Le Sénat des Etats-Unis à Washington D.C. (Photo Mark Wilson. AFP)
publié le 13 septembre 2017 à 18h40
(mis à jour le 14 septembre 2017 à 10h41)

En plein tourbillon médiatique sur l'arrivée de l'ouragan Irma en Floride, l'information est passée presque inaperçue. Elle sonne pourtant comme un désaveu cinglant pour Donald Trump. Jeudi dernier, une influente commission bipartisane du Sénat américain a voté deux projets de loi budgétaires aux antipodes des desiderata du président américain.

Aux Etats-Unis, le processus d'adoption du budget fédéral est extrêmement complexe. Dans un premier temps, généralement en début d'année (un peu plus tard lors d'un changement d'administration), la Maison Blanche présente un projet de budget censé refléter la vision politique du Président. Celui de Donald Trump, dévoilé fin mai et baptisé «Une nouvelle fondation pour la grandeur de l'Amérique», obéissait à une ligne directrice claire : augmentation massive des dépenses militaires et de sécurité, coupes drastiques partout ailleurs. Le budget Trump prévoyait ainsi une hausse de près de 10% pour le Pentagone (52 milliards de dollars supplémentaires), compensée notamment par la baisse drastique des dotations des affaires étrangères (-28%), de l'Agence de protection de l'environnement (-31%), de l'éducation (-14%) ou des centres nationaux de santé (NIH), principale institution publique en charge de la recherche médicale (-18%).

Unanimité

Au bout du compte, une chose importe toutefois : à Washington, c'est le Congrès, et non la Maison Blanche, qui tient les cordons de la bourse. Les parlementaires, s'ils doivent se mettre d'accord entre eux, n'ont en revanche aucune obligation de suivre les recommandations du président. Et c'est précisément ce qui vient de se passer. Le premier texte voté jeudi dernier par le Senate Appropriations Committee, la commission en charge des dotations budgétaires, recommande pour 2018 l'octroi de plus de 51 milliards de dollars à la diplomatie américaine. C'est certes six milliards de moins qu'en 2017. Mais c'est surtout près de onze milliards de plus que le budget défendu par Donald Trump.

Détail significatif : composée de 16 républicains et 15 démocrates, la commission du Sénat a voté ce projet de budget à l'unanimité. Un rare consensus et une véritable claque pour Donald Trump. Dans un rapport détaillé accompagnant le texte, les sénateurs critiquent d'ailleurs ouvertement la volonté de la Maison Blanche de couper massivement les fonds de la diplomatie. «L'une des leçons que nous avons apprises depuis le 11 septembre 2001 est que la force américaine à l'étranger ne peut pas s'exprimer uniquement par la voie militaire. Les technologies de combat et la puissance de feu ne peuvent remplacer la diplomatie et le développement, écrivent les membres de la commission. L'apparente doctrine de retrait de l'administration, qui consiste notamment à éloigner les Etats-Unis des cadres collectifs et multilatéraux de règlement des différends, ne fait qu'affaiblir la position de l'Amérique dans le monde.»

Oubliettes

En filigrane, les sénateurs étrillent la vision «America First» («l'Amérique d'abord») de Trump, celle d'une Amérique repliée sur elle-même, désengagée au maximum du théâtre onusien et de l'aide au développement. La Maison Blanche veut réduire à 996 millions de dollars (contre 1,36 milliard en 2017) la contribution américaine aux organisations internationales, au premier rang desquelles l'ONU ? Les sénateurs recommandent au contraire de l'augmenter à 1,44 milliard de dollars. Trump veut consacrer 1,19 milliard de dollars aux opérations de maintien de la paix ? Les élus proposent 16% de plus, à 1,38 milliard. Sur l'assistance internationale en matière sanitaire, le fossé est encore plus large : là où Trump proposait 6,5 milliards de dollars annuels, les sénateurs recommandent 33% de plus, à plus de 8,7 milliards.

Le projet de loi adopté par la commission du Sénat n’est pas définitif. Il doit désormais être voté par le Sénat en séance plénière, puis un compromis devra être trouvé avec le texte budgétaire préparé en parallèle par la Chambre des représentants. La version finale sera envoyée sur le bureau de Donald Trump pour signature. Des amendements sont donc encore possibles. Mais le vote unanime en commission indique clairement une volonté, tant chez les démocrates que les républicains, de reléguer le budget Trump aux oubliettes.

«Pas de frontières»

Outre le projet de budget dédié à la diplomatie, la commission du Sénat a également voté jeudi un texte relatif aux dépenses de santé, d'éducation et du ministère du Travail. Là encore, les élus n'ont aucunement suivi les recommandations venues de la Maison Blanche. Les fonds publics consacrés à la lutte contre le sida, le paludisme, la tuberculose ou la polio, que Trump voulait réduire de 11 à 31%, sont tous maintenus à leur niveau de cette année. La commission suggère en outre d'augmenter de deux milliards de dollars, à plus de 36 milliards, le budget des Centres nationaux de santé (NIH), que Trump voulait amputer de 18%. «Sans un investissement continu dans le NIH, nous mettons en danger nos progrès scientifiques actuels, nous risquons de perdre une génération de scientifiques et nous ralentissons la compétitivité mondiale de notre nation», martèlent les sénateurs dans leur rapport explicatif.

Enfin, grâce au vote du Congrès, certaines agences et organisations fédérales pourraient échapper à la disparition. C'est le cas du Fogarty International Center, décrit comme «une sentinelle mondiale contre les maladies» par le New York Times. Créé à la fin des années 60, ce centre fédéral rattaché au NIH finance 400 projets de recherche ainsi que la formation de docteurs étrangers par des médecins américains, en rapport avec la lutte contre des maladies infectieuses comme Ebola, le virus Zika ou les fièvres tropicales. Sans explication, le projet de budget de la Maison Blanche prônait la suppression pure et simple du Fogarty Center, dont le budget (69 millions de dollars en 2017) ne représente pourtant qu'une goutte d'eau dans les dépenses fédérales. Les sénateurs ont au contraire voté pour en augmenter le budget de cinq millions de dollars. «Les maladies ne connaissent pas de frontières. Il est critique que le NIH continue à disposer des ressources nécessaires pour construire une expertise scientifique dans les pays en développement, poursuivre ses partenariats internationaux et protéger la santé et la sécurité des Américains», assène la commission dans son rapport.