A 75 km au sud de Nicosie, capitale de l'île de Chypre, Limassol est une station balnéaire qui peut surprendre les visiteurs. Au milieu des palmiers et des innombrables palaces, il n'est pas rare d'apercevoir des panneaux publicitaires bilingues. En grec, bien sûr, mais aussi en russe quand ces affiches géantes vantent de nouveaux programmes immobiliers. Depuis une dizaine d'années, Limassol accueille une importante communauté russe, estimée à 20 000 résidents. Laquelle dispose désormais de ses écoles, journaux, radios, et même de deux églises. Les Russes «vivent souvent entre eux», répètent les Chypriotes. Mais visiblement, on les apprécie.
Sésame. Et pour cause, ils ont investi dans l'économie de cette ville de 150 000 habitants - dont 25 % d'étrangers. Un attrait qui doit beaucoup aux taux d'intérêts de placements bancaires très généreux et à un impôt sur les sociétés modestes, encourageant l'installation des sièges d'entreprises étrangères. Pour les Russes fortunés, l'expatriation sur l'île a aussi l'avantage d'offrir un passeport en seulement trois mois. Un sésame qui s'obtient, depuis 2013, en contrepartie d'un investissement de 2 millions d'euros sur trois ans dans le pays. De quoi s'affranchir des démarches ou blocages pour obtenir un visa et circuler librement dans l'Union européenne. Une manne pour Chypre, membre de l'UE depuis 2004, qui aurait ainsi raflé 4 milliards de dollars en cinq ans (3,3 milliards d'euros). Un récent article du Guardian dénonce cette braderie qui profiterait «aux super-riches de Russie et d'Ukraine», au pedigree parfois douteux. Le quotidien britannique affirme avoir obtenu une liste de noms des bénéficiaires. On y retrouve le collectionneur et patron de l'AS Monaco, Dmitri Rybolovlev. Mais aussi des oligarques ukrainiens et des membres de la nomenklatura syrienne proches de Bachar al-Assad, même si le plus sulfureux d'entre eux s'est vu retirer sa nationalité chypriote.
Voyous. L'île, indépendante depuis 1960, est-elle devenue pour autant un paradis pour riches voyous russes ? La réalité est plus complexe. Lors de l'été 1974, quand à la suite d'un coup d'Etat raté des nationalistes grecs la Turquie envahit le Nord et occupe 37 % du territoire, les Chypriotes grecs ont afflué en masse à Limassol.
Face à une économie en berne, «l'idée de faciliter l'installation des sociétés offshore» s'est vite imposée, selon le président de l'office de promotion de l'île, Tonis Antoniou. De quoi attirer de nombreux investisseurs étrangers, notamment libanais ou norvégiens. Et ce bien avant le deal des passeports. En réponse à la polémique, le ministère des Finances chypriote a quant à lui certifié que les procédures d'octroi prenaient en compte le contrôle des fonds pour éviter tout blanchiment d'argent sale.