Le référendum d'autodétermination s'est déroulé dans la douleur. Le gouvernement espagnol a montré les muscles et multiplié les actions pour empêcher les Catalans de se rendre aux urnes. Mais la mobilisation des indépendantistes a fini par payer. Le «Sí» («Oui») l'a emporté face au «No» («Non»). Peu après la proclamation des résultats, le gouvernement régional a fait usage de ce rapport de force pour imposer au gouvernement central un référendum légal sur le modèle écossais. «Il n'existe pas d'autre option en mesure de légitimer l'Etat catalan au niveau international et de garantir le soutien d'une majorité de citoyens», estime Xavier Cuadras-Morató, économiste et auteur de La Catalogne : un nouvel Etat indépendant en Europe.
Un nouveau succès dans les urnes a finalement permis d'entamer les procédures de sécession. Comme annoncé, la police catalane «exerce le contrôle de ses frontières terrestres, maritimes et douanières». Dans la foulée, la Constitution de la République catalane a été rédigée par une commission indépendante. La Catalogne disposait déjà d'un parlement, dans le parc de la Ciutadella, à Barcelone. Son pouvoir législatif sort, en toute logique, renforcé de l'indépendance. Les symboles de la nouvelle république n'ont pas changé par rapport à l'ancienne communauté autonome. La devise Sempre endavant mai morirem («Toujours en avant, jamais nous ne mourrons», en français) est officialisée, l'hymne national Els Segadors confirmé. Le choix du drapeau a suscité davantage de débats. Les plus fervents indépendantistes ont bataillé pour imposer leur étendard : l'Estelada ajoute un triangle et une étoile au traditionnel drapeau aux quatre bandes rouges sur fond or. C'est finalement ce dernier, la Senyera, qui l'a emporté dans l'opinion. Une sorte de continuité : il avait été adopté en 1979, au moment de la signature du premier statut d'autonomie de la Catalogne.
En tant que nouvel Etat, la Catalogne doit se faire une place sur la scène internationale. Lors des négociations autour du référendum légal, Madrid a concédé à Barcelone le droit de se porter candidate à Bruxelles, l'Union européenne ne l'ayant pas intégrée de facto après la sécession. «Bien intégrée jusqu'à présent, au travers des institutions espagnoles, la Catalogne pourrait devoir patienter un moment avant d'entrer dans l'UE, avertit Steven Blockmans, chercheur au Centre d'études sur la politique européenne (CEPS). Initiée en 2010, la candidature de l'Islande n'a pas abouti. Elle a mis longtemps à progresser, alors qu'elle était perçue comme quelque chose d'évident, de naturel.» Pour autant, la communauté internationale appelle à son intégration rapide. La jeune république devrait devenir le 28e Etat membre d'une UE post Brexit. «Il ne peut pas en être autrement, assure Xavier Cuadras-Morató. La Catalogne est taillée pour la zone euro et le marché commun.»
Avec 7,5 millions d'habitants, la République catalane sera alors le quinzième Etat le plus peuplé de l'Union. Le jeune pays dépasse la Bulgarie, la Finlande ou encore l'Irlande au classement. Plus de 50% des Catalans ont pour langue maternelle l'espagnol. Lorsqu'il était encore sous l'égide de l'Espagne, le gouvernement régional a redoublé d'efforts pour préserver le catalan. Ses actions ont permis de conserver un cœur de locuteurs natifs, représentant un peu plus de 30% de la population selon l'Institut de statistiques de la Catalogne. Indépendant, le jeune pays compte amplifier son action en faveur de la langue nationale grâce à sa banalisation dans l'espace public et les écoles.
Le sport et la culture, piliers de la nation
La Catalogne jouit d'une bonne forme sur le plan économique. Avec un PIB par habitant de 27 663 euros, elle est plus riche que la moyenne des pays européens. Elle s'en sort notamment mieux que l'Italie (25 900 €), mais un peu moins bien que son voisin français (31 700 €). Le pays n'a néanmoins pas d'autre choix que de composer avec une dette importante, estimée à 75 milliards d'euros (soit 35% de son PIB global). «A moyen terme, la Catalogne a le potentiel pour devenir un membre influent de l'Union européenne», prédit Xavier Cuadras-Morató. Parmi le demi-million d'entreprises catalanes, des marques internationales, comme l'enseigne vestimentaire Mango ou le géant de l'énergie Gas Natural. Les industries automobile et pharmaceutique, les services et le numérique restent les fleurons de l'économie. Sans oublier les bières Moritz et Estrella Damm, bien sûr. Un temps exaspérés par le tourisme, les Catalans ont pris conscience de son importance pour leur économie. Seul le secteur bancaire, qui émettait de sérieux doutes sur l'indépendance, pâtit de la sécession.
Sur le volet culturel, la nation prospère. Depuis des années, onze de ses monuments sont inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco. Sept d'entre eux, parmi lesquels la Sagrada Familia, sont des créations de l'architecte Antoni Gaudí et font la renommée du pays à l'international. Salvador Dalí, Joan Miró, Pablo Picasso… La culture catalane est portée par ses peintres d'exception. L'industrie du cinéma, encore naissante, jouit d'une belle réputation. Les films d'horreur catalans font sensation tout autour du globe, comme la saga REC du réalisateur Jaume Balagueró. Le pays s'est aussi lancé dans l'arène du Concours Eurovision de la chanson. La Catalogne compte déjà une victoire à son palmarès : la chanteuse barcelonaise Salomé avait, en effet, remporté le Grand prix en 1969. Rendons à César ce qui est à César.
Natation, tennis, canoë-kayak et taekwondo. Les sportifs catalans ont brillé aux derniers Jeux olympiques, à Rio de Janeiro (Brésil) en 2016. A l'époque, les Catalans avaient largement participé au succès de la délégation espagnole, remportant près de la moitié des médailles du pays (8 sur un total de 17). Des résultats encourageants, en vue des Jeux de Tokyo en 2020 et Paris en 2024. Le football reste évidemment un incontournable en Catalogne. Le FC Barcelone demeure l'un des meilleurs clubs au niveau mondial. Avec Gerard Piqué en défense, Sergio Busquets et Cesc Fàbregas milieux de terrain : l'équipe nationale n'est pas en reste. Attention, cela dit, si vous espériez pouvoir apercevoir Rafael Nadal lors du célèbre tournoi de tennis de la capitale. Depuis qu'il a pris position contre l'indépendance, le sportif n'est plus le bienvenu dans le pays…