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Analyse

A Bruxelles, l’Europe embarrassée garde le silence

Allié de Berlin, le pouvoir espagnol a pu compter sur la bienveillance allemande pour que personne n’intervienne dans ses affaires intérieures. Pourtant l’UE aurait pu s’en mêler…
Vote sans heurts à l'Institut Escola des Treball,à Barcelone. (Photo Paoloa Verzone. VU)
par Jean Quatremer, (à Bruxelles)
publié le 1er octobre 2017 à 21h26

La capacité de l'Union européenne - que ce soit ses Etats membres ou ses institutions - à mettre la tête dans le sable est proprement sidérante. Cela fait un an que l'on sait qu'un référendum d'autodétermination sera organisé par les autorités catalanes et que le pouvoir central madrilène le jugera inconstitutionnel. De quoi laisser augurer des lendemains inquiétants pour la paix civile. Pourtant, l'Europe a regardé les deux trains foncer l'un vers l'autre en refusant d'intervenir. Motif : il s'agirait d'une «affaire de politique intérieure» dans laquelle ni les Etats ni les institutions communautaires n'ont de légitimité à intervenir puisque la Constitution espagnole est respectée par Madrid et violée par Barcelone. Bref, aux Espagnols et aux Catalans de se débrouiller. Jusqu'à quand ? Faut-il attendre l'envoi de l'armée pour s'émouvoir ? La suspension des libertés politiques et civiles? Le premier mort ?

Pourtant, l'article 2 du traité sur l'Union donne une base à une intervention dans les affaires intérieures d'un Etat : «L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités.» C'est sur cette base que la Commission est intervenue auprès des autorités hongroises, polonaises ou même françaises (à propos des droits des Roms). Cet article lui donne la légitimité pour intervenir en Espagne. Au moins en proposant une mission de bons offices afin d'aider à nouer un dialogue entre Barcelone et Madrid. Car si l'Union n'est pas une force militaire, elle est un soft power qui a démontré son efficacité. Un seul exemple : sa gestion de la transition des anciens pays communistes vers la démocratie et l'économie de marché.

Or là, elle n’a rien tenté. Elle a même renoncé à intervenir discrètement pour calmer les deux bords en dépit de l’inquiétude de parlementaires européens. Certes, l’Union a déjà montré son impressionnante incapacité à anticiper, comme dans la crise ukrainienne. Elle avait alors refusé de voir le danger qu’il y avait à titiller Moscou dans ce qu’elle considère comme son jardin. Mais la réalité est bien plus triviale dans le cas espagnol. Mariano Rajoy est, comme tous les membres du PPE (le parti conservateur européen), un protégé de la chancelière allemande. Et l’on sait à quel point Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, lui-même membre du PPE, est à l’écoute de Berlin. Tant qu’il ne franchira pas la ligne rouge du premier sang, l’Europe des Etats détournera le regard.