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Libération
EDITORIAL

A qui sait attendre

publié le 2 octobre 2017 à 20h46

Eviter, avant toute chose, la rhétorique confortable et trompeuse des bons et des méchants. Le gouvernement Rajoy s’est certes glissé dimanche, avec beaucoup de brutalité, dans le costume du méchant. Il ne s’ensuit pas qu’il ait tort sur toute la ligne. Essayons d’éclaircir. Il existe, dans le monde démocratique, un principe essentiel, consacré dans la loi internationale : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Si une majorité de Catalans, claire et nette - ce n’est pas le cas aujourd’hui -, signifie sa volonté d’indépendance, on ne voit pas très bien au nom de quel principe supérieur on pourrait la lui refuser sur le long terme.

Au Canada, en Grande-Bretagne, dans des circonstances plus ou moins similaires, le Québec et l’Ecosse ont tenu des référendums d’indépendance. A chaque fois, une courte majorité a finalement préféré l’union - ce qui prouve que le mouvement de sécession n’est pas irrésistible. Mais dans le cas inverse, des négociations de séparation juridique se seraient engagées aussitôt. Même chose en France pour la Nouvelle-Calédonie, qui pourra l’année prochaine gagner son indépendance. Le refus espagnol de tout référendum est une anomalie au regard de cette pratique courante. Et dans le ciel des principes, la Catalogne a le droit à l’indépendance.

Mais en politique, les décisions ne se jugent pas seulement en principe, mais aussi en opportunité, c’est-à-dire en examinant concrètement les conséquences probables d’une déclaration d’indépendance unilatérale. C’est là que tout se complique. Quel sera par exemple le sort des Catalans qui veulent rester espagnols ? Leurs droits individuels seront-ils respectés ? Ou devront-ils se soumettre sans discuter à un pouvoir nouveau, serait-il intolérant ? Et surtout, comment maîtriser le processus de dissolution que l’indépendance catalane risque de mettre en mouvement ? Après la Catalogne, le Pays basque, les Baléares, et même la Galicie demanderont à sortir de la nation espagnole. Comment le peuple espagnol réagira-t-il à ce démembrement ? Cette réaction est-elle par nature illégitime ? On imagine ce que provoquerait, en France, la perspective de voir la Corse, les territoires historiques basques et catalans et bientôt - pourquoi pas ? - la Bretagne et l’Alsace, régions à la personnalité affirmée, sortir de la République française. Hypothèse chimérique ? Sans doute. C’est pourtant ce que l’Espagne, elle, devra affronter…

Au bout du compte, ce pandémonium identitaire rendra-t-il les peuples plus heureux ? C’est la vraie question. Les Slovènes, les Croates, les Kosovars, les Bosniaques ont gagné leur indépendance par la force des armes. L’attitude impérieuse et brutale de la Serbie rendait la guerre pratiquement inévitable et ces quatre peuples étaient dans leur droit. Mais on connaît le coût humain de ce processus : quelque 200 000 morts. Avec le recul, il est évident que les solutions de compromis proposées par les médiateurs européens au début du conflit yougoslave eussent été de loin préférables. Le précédent yougoslave devrait inciter chacun à la retenue. En tout état de cause, il faut dans ces affaires incandescentes jouer la montre, ce que la France a fait avec sagesse dans le cas de la Nouvelle-Calédonie. Quand on a patienté plusieurs siècles, on peut attendre une ou deux décennies, choisir la négociation, la temporisation, le combat politique et non l’affrontement violent. On dira que ce sont des bonnes paroles. Peut-être. Mais l’autre chemin, c’est celui de la violence nationaliste.