Columbine, Blacksburg, Newtown, Aurora, Charleston, San Bernardino, Orlando. Toutes ces villes ont donné leur nom à des fusillades parmi les plus mortelles aux Etats-Unis. Depuis la nuit de dimanche à lundi, un dernier nom peut s'ajouter à cette liste : Las Vegas, Nevada. Bien que les motivations du tireur restent encore incertaines (lire page 3), une chose est sûre : il avait dans sa chambre d'hôtel dix armes à feu dont au moins un fusil automatique avec lesquelles il a pu mitrailler une foule de plusieurs milliers de personnes depuis sa fenêtre.
2e amendement. Tombent alors les chiffres ahurissants des victimes des armes à feu aux Etats-Unis : 11 652 morts (hors suicides) et 273 mass shooting depuis le début de l'année (le dernier a eu lieu dimanche matin au Kansas), plus de 310 millions d'armes à feu en circulation. Selon le Bureau sur l'alcool, le tabac, le armes à feu et les explosifs (ATF), 11 752 armes automatiques sont enregistrées légalement dans le Nevada. «Quand, dans un pays, les enfants de moins de 5 ans tuent deux personnes par semaine, la population doit avoir une discussion sérieuse sur ce que signifie assurer la sécurité publique, un des grands slogans du président Trump, dit Gary Younge, journaliste auteur d'Une journée dans la mort de l'Amérique (Grasset, octobre 2017). Cette fusillade n'est pas une surprise. Elle était tragiquement prévisible.»
Les fusillades de masse deviennent de plus en plus meurtrières. «Aux Etats-Unis, il est très facile d'acheter une arme légalement si on n'a pas de casier judiciaire, et il est très facile d'en acheter une illégalement si on en a un», explique Timothy Lytton, professeur de droit au Center for Law, Health & Society de l'université de Géorgie. Et pour cause, le plus puissant lobby du pays est celui des armes à feu. S'appuyant sur l'ambiguïté du 2e amendement de la Constitution de 1787, qui stipule qu'«une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un Etat libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas trans gressé», la National Rifle Association (NRA), et ses 5 millions de membres, défend ardemment le droit des Américains à porter une arme.
Un massacre a failli faire changer la régulation américaine: celui de Newton, dans le Connecticut, quand le 14 décembre 2012, Adam Lanza abat au fusil d’assaut 20 enfants et 6 adultes dans l’école primaire de Sandy Hook. Révolté, Barack Obama a tenté alors de restreindre un peu plus la vente des armes à feu. Sans succès. En janvier, quelques jours avant que Donald Trump ne prenne sa place à la Maison Blanche, le président démocrate passe une série de décrets pour élargir les circonstances où un contrôle des antécédents est obligatoire pour l’achat d’une arme. Quelques semaines plus tard, Trump les supprime d’un trait de stylo. Pour le lobby des armes, qui a largement financé sa campagne, l’élection du milliardaire à la Maison blanche fut une importante victoire. Trump, l’«ami» des défenseurs des armes, est le premier président à s’être rendu à la convention annuelle de la NRA en avril.
Silencieux. Dans ce contexte, peu d'espoirs pour qu'une régulation plus restrictive de la vente d'armes à feu ne fasse son chemin. «Les élus du Congrès sont largement financés par les lobbys pro-armes, explique Charlotte Recoquillon, de l'Institut français de géopolitique et spécialiste de la culture des armes à feu aux Etats-Unis. On observe d'ailleurs une augmentation des ventes après de tels événements.» Telle une routine macabre, les mêmes arguments ressortent après chaque massacre : d'un côté ceux qui demandent plus de restrictions, et, de l'autre, ceux qui estiment qu'avoir plus d'armes en circulation permettrait de tuer plus facilement les tireurs.
C'est ainsi que le Nevada est devenu un des Etats les moins prohibitifs sur le port d'armes à feu. Et que les élus de la Chambre des représentants (où les républicains sont majoritaires), prévoit de passer deux nouvelles lois qui détricoteraient un peu plus la législation américaine. La première, qui pourrait être adoptée dans les jours à venir, permettrait de faciliter la vente des canons silencieux. Les opposants soulignent que, dans le cas de fusillades de masse, l'usage de cet outil rendrait difficile l'identification de la localisation du tireur, et donc provoquerait une augmentation du nombre de victimes. La deuxième loi permettrait à des personnes ayant le droit de porter des armes cachées de se rendre dans des Etats où la législation ne l'autorise pas normalement. «Dans mon université, depuis quelques mois, les étudiants ont le droit de venir en classe avec leur arme, raconte Timothy Lytton. Ces massacres ne font que renforcer le fossé entre pro et anti-armes à feu dans la population.»
Lundi soir, la Maison Blanche tranchait : rouvrir maintenant le débat sur les armes à feu est «prématuré».