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Libération
Reportage

Togo : dans les villes frondeuses, les manifestations sont réprimées

Le Togo a de nouveau manifesté ce mercredi et jeudi, pour demander la démission du président Faure Gnassingbé, qui en est à son troisième mandat après avoir succédé à son père en 2005. Depuis cet été, les manifestations se multiplient, et sont parfois violemment dispersées.
Des enfants jouent à Kparatao, le village natal de l'opposant Tikpi Atchadam, dans le nord du Togo, le 23 septembre. (Photo Pius Utomi Ekpei. AFP)
par Christelle Pire, Envoyée spéciale au Togo
publié le 5 octobre 2017 à 17h41

Assis dans la cour familiale, la gorge nouée, M. parle lentement. «Vers 11 heures, les forces de l’ordre ont commencé à lancer les gaz. Les manifestants ont répliqué avec des cailloux. Et les militaires sont arrivés. Je me suis caché, et j’ai entendu des coups de feu. Puis j’ai entendu crier : on a tué quelqu’un ! On a tué quelqu’un !». Son petit frère de 25 ans a reçu deux balles dans la tête. Le crâne fracassé, il est mort avant d’arriver à l’hôpital.

Le 19 août dernier, plusieurs milliers de personnes manifestent à Sokodé, dans le centre du Togo, à l’appel du Parti national panafricain (PNP). Pour se faire entendre, les protestataires dévient de l’itinéraire officiel et bloquent la route nationale, qui traverse le Togo du nord au sud, avant d’être violemment dispersés. Deux personnes sont tuées. Cette manifestation marque le point de départ du mouvement de contestation qui demande la démission du président Faure Gnassingbé.

Sokodé. Deuxième ville du Togo, nichée au milieu des collines verdoyantes. C'est là qu'il y a trois ans Tikpi Atchadam a créé le PNP. «Notre stratégie était d'abord de conscientiser la population, explique ce leader charismatique. Nous avons fait un travail pédagogique, en discutant de la Constitution, du budget, de l'évolution politique, etc., en langue nationale et en français.» Un travail de terrain qui a conquis les jeunes, comme Salifou, 25 ans et chômeur : «Tikpi Atchadam nous a dit que bien sûr, il veut le pouvoir, mais pas à tout prix : avant tout, il veut le changement. Alors que les autres partis d'opposition, cela fait plus de dix ans qu'ils manifestent. Ils ne sont pas d'une qualité acceptable pour moi.»

Tikpi Atchadam a réussi à rassembler le nord et le centre du Togo, habituellement plus acquis au pouvoir, et le sud, traditionnellement contestataire. Désormais unis, les 14 partis multiplient les marches. A Sokodé, M. continue de manifester avec ses autres frères et sœurs, quasiment toutes les semaines. «Je n'ai pas peur. Ils n'ont pas le droit de venir nous tuer comme des chiens. Nous sommes prêts à mourir pour avoir le changement.»

Mango, à 200 kilomètres plus au nord, dans la vaste plaine de l'Oti. 20 000 habitants, qui gardent en mémoire les manifestations meurtrières de 2015, lorsque le pouvoir avait voulu leur imposer une aire naturelle protégée et ainsi les empêcher de chasser en brousse. A la tombée du jour, des colonnes de femmes quittent le centre-ville et vont dormir dans les environs. «Notre maison est près de là où sont les militaires, confie Ouzefa, en serrant contre elle ses deux enfants. Je suis venue ici pour qu'ils ne puissent pas m'atteindre, pas me frapper. Mon mari est lui parti au Ghana.»

«Armes de guerre»

Selon les autorités ghanéennes, près de 300 personnes ont traversé la frontière, à quelques kilomètres de là, après la manifestation du 20 septembre. Ce jour-là, opposition et majorité sortent dans la rue, mais la marche de l'opposition n'a pas été autorisée. Des jeunes s'en prennent violemment aux militants du parti au pouvoir, l'Union pour le rassemblement (Unir). Abdoulaye, oeil au beurre-noir, est encore choqué. «Nous sommes rentrés dans la maison de mon frère, qui est député-suppléant. Mais ils ont jeté des cailloux sur la maison. Mon frère est sorti pour leur dire de se calmer. C'est là qu'ils l'ont frappé et qu'il est tombé à terre».

Sa maison et le siège local d'Unir ont été brûlés, des boutiques appartenant aux familles des membres des forces de l'ordre pillées. Chaque camp s'accuse mutuellement. Face aux violences, l'armée est appelée en renfort, et tire à balles réelles. «Le premier coup de feu a été tiré par les manifestants, qui avaient des armes de guerre», dénonce le préfet, Gbandi Ouadja. Ce que nient catégoriquement l'opposition et des observateurs locaux. Un enfant de 11 ans a été tué, des dizaines d'autres personnes blessées.

Puis une véritable «chasse à l'homme» s'organise, selon plusieurs témoignages. «Le lendemain, dès le petit matin, on a entendu des coups de feu, confie un habitant, qui a participé à la manifestation interdite de l'opposition. Ça a duré toute la journée. Les militaires ont brûlé toute ma maison. J'ai fui et traversé le fleuve Oti. Ils nous ont poursuivi en tirant.». Deux jeunes hommes sont ainsi morts noyés. Son petit frère n'a plus que son maillot du FC Barcelone sur le dos, et dort dans la brousse par peur des militaires ou d'une arrestation. Car, comme le confirme le préfet, une liste des personnes présentes à cette manifestation a été dressée.

Deux semaines après les violences, les militaires sillonnent encore la ville, arme au poing et cordelette autour de la taille. La foule se dissipe devant leurs patrouilles. «J’ai tellement peur, je ne suis pas sûr de retourner manifester», confie un jeune sur le marché, le regard fuyant. Cette semaine, personne n’est sorti dans la rue pour demander la démission du président Gnassingbé.