Ni oui ni non. Carles Puigdemont entretient le flou. Lundi, le président séparatiste catalan a refusé de répondre au chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, qui exigeait de lui qu'il dise clairement s'il avait déclaré l'indépendance. L'ultimatum de Rajoy expirait lundi matin à 10 heures. Mais la réponse de Puigdemont, une lettre de deux pages rendue publique en début de matinée, n'a rien éclairci. Le dirigeant catalan, tout en dénonçant à nouveau la «répression» et les «actions policières violentes» lors du référendum d'indépendance du 1er octobre, réitère son offre de «dialogue», qu'il juge «sincère et honnête», et va même jusqu'à demander une réunion d'urgence avec Mariano Rajoy.
Échéances
Signe que la missive de Puigdemont n'a aucunement fait bouger les lignes, il a fallu à peine une heure et demie à Rajoy pour y répondre. «Je regrette que vous ayez décidé de ne pas répondre à ma demande, écrit le chef du gouvernement. Nous espérons que dans les heures qui viennent, vous répondrez avec la clarté que tous les citoyens exigent.» Retour à la case départ. L'étrange ultimatum lancé par Rajoy comprenait en effet deux échéances. La première expirait lundi matin. La seconde court jusqu'à jeudi, 10 heures. Faute d'éclaircissement d'ici là, Madrid pourrait mettre à exécution sa menace de déclencher l'article 155 de la Constitution. Jamais utilisé, il ouvrirait la voie à une mise sous tutelle de la région autonome de Catalogne, ainsi qu'à la convocation d'élections régionales anticipées.
Entre Madrid et Barcelone, la partie de poker se poursuit donc. Avec à la clé, pour les deux protagonistes, un même objectif : ne pas apparaître comme le responsable du durcissement politico-institutionnel qui se profile. Le gouvernement espagnol maintient une posture purement légaliste. Et Rajoy place Puigdemont face à ses responsabilités : «Vous avez encore la possibilité d'ouvrir une nouvelle période de normalité et de loyauté institutionnelle, ce que tout le monde vous demande. Dans le cas contraire, vous serez l'unique responsable de l'application de la Constitution.» Côté catalan, Puigdemont continue de brandir l'étendard du dialogue et de la médiation. «La priorité de mon gouvernement est de chercher intensément la voie du dialogue. Nous voulons parler, comme le font les démocraties consolidées, du problème posé par la majorité du peuple catalan, qui souhaite entreprendre son cheminement comme pays indépendant dans le cadre européen», écrit-il ainsi dans sa lettre à Rajoy.
«Déchirements»
Dans cette bataille d'images, chaque camp joue sa partition. «Les indépendantistes catalans se soucient de maîtriser leur image, notamment internationale, avec un professionnalisme croissant», analyse le chercheur à l'Institut français de géopolitique Cyril Trépier. Pour ce spécialiste de la Catalogne, les appels incessants à la négociation de Puigdemont ne suffisent toutefois pas à masquer son intransigeance : «Appeler au dialogue quand on dit pratiquement dans la même phrase qu'on ne bougera pas d'un millimètre sur la revendication de l'indépendance, ce n'est pas de nature, dans les faits, à favoriser la discussion.»
Dans ce contexte, et sauf improbable recul des séparatistes, la mise en œuvre de l'article 155 semble inéluctable. Avec un risque réel de débordements. «Si Mariano Rajoy choisit cette voie, il va exciter le camp des indépendantistes et couper définitivement son parti d'une frange de l'Espagne. Cela peut créer des déchirements terribles», prédit Carole Viñals, maîtresse de conférence en littérature et civilisation ibérique à l'université de Lille-III.
Seul signe d'apaisement dans ce dossier explosif : lundi soir, la justice espagnole a décidé de laisser libre, sous contrôle judiciaire, le chef de la police catalane. Accusé de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour empêcher la tenue du référendum illégal du 1er octobre, le major Trapero est poursuivi pour sédition. Evoquant un risque de récidive, le parquet avait requis son placement en détention provisoire.