Si la Catalogne proclame son indépendance, pourra-t-elle rester dans l'UE et dans l'euro comme le gouvernement de la Généralité continue à l'affirmer ? Pour les partenaires européens de Madrid et les institutions communautaires, la réponse est négative. Même si les traités européens sont silencieux sur cette question, et qu'il n'existe aucun précédent. De fait, jusqu'ici, les Etats du Vieux Continent qui se sont scindés (essentiellement à la suite de la chute du communisme) l'ont fait avant d'adhérer à l'UE… Lors du sommet européen de la semaine dernière, les Vingt-Huit, en soutenant sans ambiguïté Madrid, ont envoyé un message clair à Barcelone. Toute sécession de l'Espagne sera considérée comme une sécession de l'UE. «La clé n'est pas dans le droit européen, mais dans le droit international», reconnaît-on à la Commission. Si ce droit n'est pas contraignant, il est carré : si une région proclame son indépendance, avec ou sans accord de l'Etat central, elle sort automatiquement de tous les traités signés par le pays auquel elle appartenait. Les institutions et capitales européennes ont d'ailleurs déjà fait savoir qu'elles appliqueraient cette règle. Et que la Catalogne sortirait donc de l'UE et de l'euro si elle devenait indépendante. En réalité, il y a deux cas de figure distincts.
Hypothèse 1 L’indépendance n’est pas reconnue par Madrid
Si Madrid refuse de reconnaître l'indépendance de la Catalogne, cette dernière restera de facto dans l'UE puisqu'elle ne sera pas un Etat indépendant reconnu comme tel par l'Etat central et la communauté internationale. Elle pourra certes s'organiser en Etat de fait (en imaginant que Madrid la laisse faire), mais elle n'aura aucune voix dans l'UE ou dans le monde : Madrid continuera à représenter les intérêts de toute l'Espagne à Bruxelles. Et Barcelone devra appliquer les décisions qui seront prises par les pays membres sans avoir son mot à dire. Il se retrouvera dans une situation à la norvégienne : membre de l'Espace économique européen, comme l'Islande et le Liechtenstein, Oslo doit appliquer l'ensemble du droit européen sans avoir voix au chapitre en échange de son accès au marché unique. «Ce sera un Etat fantoche», résume crûment Claude Blumann, professeur émérite à l'université Paris-II. Une situation qui n'est pas forcément pour déplaire à Barcelone : «Si Madrid estime qu'une Catalogne indépendante doit sortir de l'UE et renégocier une adhésion à laquelle il pourrait poser son veto, il faudrait d'abord qu'il nous reconnaisse !» s'amusait en septembre 2016 devant des journalistes français Carles Puigdemont, le président de la Généralité de Catalogne. L'indépendance sans ses inconvénients.
Mais une autre hypothèse est plausible : un blocus terrestre et maritime de la Catalogne organisé par Madrid. Frédéric Mérand, professeur de sciences politiques à l'Université de Montréal, ne l'exclut pas et voit «mal les Etats européens s'y opposer : si la France maintient sa frontière ouverte, Madrid pourra estimer qu'il s'agit d'une attitude hostile à son égard, avec ce que cela implique…»Même non reconnue, la Catalogne pourrait ainsi se retrouver coupée de l'UE, avec son approbation tacite, jusqu'à ce qu'elle demande grâce.
Un tel pouvoir reconnu à l'Etat central n'est-il pas en contradiction avec le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, proclamé par la charte des Nations unies ? Car s'il n'est pas supérieur à l'ordre juridique interne, autant le passer par pertes et profits… «Il est exact que la Constitution espagnole ne peut pas être le seul référent dans cette affaire», reconnaît Claude Blumann. Le problème est que ce principe a été interprété très largement après la Seconde Guerre mondiale et lors de la décolonisation, ce qui n'est plus le cas. Surtout, il implique de savoir s'il existe un «peuple catalan» et s'il peut revendiquer son indépendance. Enfin, il n'existe aucune instance internationale compétente pour en juger. Il appartient donc à chaque Etat d'en décider en reconnaissant ou non le nouveau pays, et cette déclaration n'engage que lui. Autrement dit, une Catalogne indépendante devra compter sur la bonne volonté des Etats. Or, dans l'Union, elle n'a aucun allié…
Hypothèse 2 L’indépendance est reconnue par Madrid
Madrid peut choisir de reconnaître le droit à l'indépendance de la Catalogne. Dans ce cas, il notifiera sa décision à Bruxelles «comme la France l'a fait avec le département d'Algérie en 1962, qui a immédiatement cessé d'appartenir à la CEE de l'époque», rappelle Jean-Luc Sauron, conseiller d'Etat et spécialiste des affaires européennes. Et les partenaires de Madrid devraient suivre sans difficulté. La Catalogne sera alors un nouvel Etat européen en bonne et due forme. Mais comme l'Etat successeur de l'Espagne unie sera l'Espagne réduite aux acquêts, la Catalogne se retrouvera en dehors de l'UE et de l'euro. Car ce n'est pas elle qui a signé le traité d'adhésion en 1985. Ce qui est vrai de l'Union l'est par ailleurs tout autant de l'ensemble des traités auxquels l'Espagne est liée : ONU, Organisation mondiale du commerce, OCDE, Otan… Il faudra donc que la Catalogne négocie son adhésion à l'ensemble des organisations internationales.
Mais ce départ ne se fera pas du jour au lendemain. «Il faudra d'abord que l'Espagne modifie sa Constitution pour autoriser un nouveau référendum d'autodétermination, légal celui-là. Puis que la Catalogne et l'Espagne négocient un traité de séparation, ce qui s'annonce ardu. Puis, enfin, que les liens avec l'Union soient rompus», liste Jean-Claude Piris, ancien jurisconsulte du Conseil des ministres de l'UE. Comment faire, puisque le cas ne s'est jamais présenté, surtout pour un territoire qui a appartenu à la zone euro ? «On n'est pas dans le cas du Brexit où c'est un Etat membre qui décide de partir. L'article 50 ne s'applique pas. Là, c'est une région qui quitte un Etat membre, et ça, on ne sait pas faire», admet Jean-Luc Sauron.
Bien sûr, il est possible qu'un accord politique soit trouvé pour garder la Catalogne dans l'UE sans en passer par une nouvelle demande d'adhésion. Après tout, il y a un gros risque de tempête financière si la zone euro perd ainsi un bout de son territoire qui pèse plus que la Grèce… «Personne au sein de l'UE ne voudra se priver de l'économie catalane, qui pèse 2 % de son PIB. Je suis persuadé que la realpolitik finira par l'emporter et que nous resterons membre de l'Union», estimait ainsi Carles Puigdemont. Une hypothèse que n'écarte pas Jean-Luc Sauron.
Ce n'est pas l'avis de Jean-Claude Piris : «On a l'obligation de vérifier que le nouvel Etat remplit bien tous les critères politiques (Etat de droit, protection des minorités, etc.) et économiques pour adhérer à l'Union. On ne peut pas se contenter de lui faire confiance.» Pour l'heure, Madrid n'a pas vraiment emprunté la voie du dialogue et de la conciliation, préalable à tout accord politique de cette nature. Et les indépendantistes catalans n'ont guère mesuré la complexité de la tâche qui les attend. Ni les risques politiques et économiques qu'ils prennent et font prendre à l'Union européenne.