Menu
Libération
Cadenas

En Egypte, une élection présidentielle verrouillée par Abdel Fattah al-Sissi

Huit mois avant la présidentielle, la réélection du général égyptien à la tête de l’Etat ne fait aucun doute. Le régime veille à bloquer toute candidature concurrente.
Abdel Fattah al-Sissi, le président égyptien, lors de l'assemblée générale des Nations unies, le 19 septembre, à New York. (Photo Drew Angerer. AFP)
par Stéphane Gabriellini
publié le 24 octobre 2017 à 11h08

L’Egypte du président Abdel Fatah al-Sissi, qui vient de prolonger pour trois mois l’état d’urgence, est plongé dans une crise des droits de l’homme sans précédent. A l’occasion de la visite d’Al-Sissi à Paris ce mardi, les ONG, égyptiennes et françaises, n’ont d’ailleurs pas tardé à réagir pour dénoncer la «tolérance» de la France à l’égard de l’Egypte, qu’elles qualifient de «tombeau des droits humains». C’est dans ce contexte que le pays s’apprête à entrer en campagne présidentielle. La liste des candidats officiels sera révélée en février 2018, mais tout a été fait pour que ce soit joué d’avance. Avocats, anciens membres du régime de Moubarak, parlementaires… Une liste non officielle de huit candidats présumés circule dans les médias locaux. Mais le président Al-Sissi, élu à 96,2 % en 2014, devrait donc obtenir un score semblable l’été prochain.

«Je suis bien conscient que les élections ne seront pas transparentes, ne soyons pas dupes», confie le célèbre opposant de gauche Mamdouh Hamza, cité dans le quotidien arabophone Al-Araby al-Jadid basé à Londres. Cet ingénieur égyptien, connu pour avoir supervisé la construction de la bibliothèque d'Alexandrie, envisage tout de même de se porter candidat pour répondre à l'urgence, dit-il, de «redonner vie à la politique égyptienne.» En vue de la présidentielle, le régime a durci davantage la répression contre les opposants politiques. Le 25 septembre, Khaled Ali, avocat défenseur des droits de l'homme et candidat présumé, a été condamné à trois mois de prison pour «atteinte à la moralité publique». Il aurait fait un geste obscène de la main après avoir obtenu de la justice, en janvier, le blocage du projet d'Al-Sissi de rétrocéder à l'Arabie Saoudite les îles de Tiran et de Sanafir, situées en mer Rouge. Une défaite humiliante pour le gouvernement face à l'opinion publique qui l'avait accusé de trahison. Depuis l'annulation de cette décision, l'ancien candidat malheureux de la présidentielle de 2012 connaît un succès politique et médiatique.

Trois tactiques

Dans un environnement où l’appareil juridique est presque entièrement pro-régime, la décision du tribunal administratif relatif à la cession des deux iles avait surpris le gouvernement qui considérait son pouvoir supérieur au droit. Ça n’a pas duré, comme l’indique la condamnation de Khaled Ali. Les avocats du prévenu ont annoncé qu’ils allaient faire appel. Si le verdict est confirmé, cette célèbre figure de l’opposition égyptienne ne pourra pas se porter candidat au scrutin de 2018. En effet, pour s’assurer le prochain mandat, le président a concocté trois tactiques : éliminer ses concurrents poursuivis en justice, nommer ses proches dans la commission électorale nationale et fixer le mandat présidentiel à six ans au lieu de quatre.

La campagne présidentielle devrait débuter le 8 février. Si plusieurs noms de candidats présumés sont déjà évoqués dans les médias locaux, celui de Khaled Ali revient très souvent. «C'est le candidat le plus sérieux à gauche, probablement plus que le leader de gauche nassérienne Hamdeen Sabbahi [arrivé troisième lors de l'élection en 2014, ndlr]. Il a été décrédibilisé, après avoir attendu 2016 pour commencer à critiquer Al-Sissi», explique Clément Steuer, chercheur en sociologie politique et spécialiste du monde arabe. Et les islamistes ? «Il pourrait y avoir un candidat salafiste, ou alors un islamiste modéré», estime l'expert. Aux antipodes de l'avis de Mohamed Ahmed, spécialiste de l'Egypte à Amnesty International. Pour lui, une candidature de la part des islamistes est inenvisageable : «Ils n'ont plus de parti politique depuis la dissolution des Frères musulmans en 2013, et ont subi une répression massive depuis deux ans. Il est hors de question qu'ils participent.»

«Candidats marionnettes»

Peu importe les concurrents, Abdel Fattah al-Sissi sera donné gagnant. «Les candidats face à Sissi ne seront que des marionnettes, autorisées à participer uniquement pour donner l'image d'un vote démocratique», précise Mohamed Ahmed. L'establishment égyptien ne manque pas de faire taire toute voix dissidente. Un récent rapport de Humans Rights Watch, rendu public début septembre, détaillait les actes de barbarie perpétrés dans les prisons par la sécurité nationale égyptienne contre les opposants politiques. Pour la première fois, l'ONG les avait définis comme un crime contre l'humanité. Une torture généralisée mais aussi des arrestations arbitraires : des centaines d'étudiants, de militants politiques et de protestataires, ont disparu aux mains de l'Etat, sans laisser de traces. Outre les violations des droits de l'homme orchestrées par le gouvernement, l'Egypte connaît une violente crise économique. Au point que la banque centrale égyptienne a décidé en 2016 de laisser flotter sa devise (la livre). Pas au point de stopper l'inflation qui affiche un taux de 32 % en 2016.

Qu’attendre de la communauté internationale, du moins pour ce qui est de la question des droits de l’homme ? Donald Trump ou encore Angela Merkel ont récemment accueilli à bras ouverts Al-Sissi. Ce mardi, ce sera au tour d’Emmanuel Macron. Les associations des droits de l’homme ont lancé un cri d’alarme. «Le simple fait que le président de la République invite Al-Sissi laisse déjà penser qu’il ne donne pas la priorité à la question des droits de l’homme mais plutôt à celle de ses intérêts économiques», explique Mohamed Zarea, vice-président de la FIDH. En effet, la France est le deuxième fournisseur d’armes de la dictature égyptienne. En mars 2014, l’entreprise française Amesys a vendu du matériel de surveillance à Al-Sissi. C’est d’ailleurs elle qui fait l’objet d’une information judiciaire depuis 2011 pour avoir fourni un logiciel de renseignement similaire au régime libyen. La vente de ce même matériel à un nouveau régime répressif ne semble pas émouvoir outre mesure.