Directeur de la Fondation Napoléon, Thierry Lentz a publié en 1995 Kennedy, enquête sur l'assassinat d'un président, un ouvrage actualisé et augmenté en 2013. Pour lui, ce n'est pas Oswald qui a tiré.
Qu’attendez-vous de ces documents ?
Sauf surprise, je n’en attends rien de décisif. Les agences de renseignement peuvent garder secrètes un certain nombre d’informations. Cela se matérialise par du marqueur noir qui barre certaines phrases. Dans le passé, beaucoup de pages étaient entièrement noircies. Et même si des rapports de synthèse très postérieurs aux faits, dont un de 2003 dans lequel la CIA est revenue sur ses errements de l’époque, sont déclassifiés, l’essentiel est assez largement connu. On a déjà un matériau très important, dont le rapport de la commission Warren, celui du Congrès et les volumes de pièces qui les accompagnent. Ce sont d’ailleurs de ces rapports officiels que viennent tous les doutes sur ce qui s’est passé.
Sur quelles zones d’ombres peut-on espérer des éclaircissements ?
L’une des choses qui pourrait être confirmée concerne la panique des services officiels au moment où ils ont découvert que Lee Harvey Oswald avait des relations avec des services (CIA, FBI) et aussi un pied dans les milieux anticastristes. Même s’ils ne sont pas complices de l’assassinat, ils n’ont pas envie que cela se sache. On pourrait en avoir confirmation grâce aux discussions que les agences ont eues entre elles.
Entre ceux qui adhèrent à la thèse officielle et ceux qui croient au complot, ces documents pourraient-ils faire bouger les lignes ?
Je ne le pense pas. Sur les faits eux-mêmes, beaucoup a déjà été dit. Leur interprétation appartient à chacun. Certains croient que tout cela n'est que du hasard, d'autres que c'est le résultat d'une conspiration. On estime toujours que le rapport Warren est la thèse officielle du gouvernement, avec Oswald comme tireur unique et Ruby [qui a tué Oswald, ndlr] comme un illuminé qui a voulu venger le Président. Mais il existe un deuxième rapport officiel : celui du Congrès en 1979, qui conclut à la conspiration. Le Congrès avait demandé la réouverture de l'enquête par le FBI, qui ne l'a jamais fait. On a toujours fait comme si ce rapport n'existait pas, parce que juste après, Reagan est arrivé au pouvoir et que ce n'était plus le moment d'aller gratter dans les plaies.
Personnellement, quelle est votre hypothèse sur la mort de JFK ?
Mon hypothèse est celle du général de Gaulle. Lorsqu'il rentre des obsèques de Kennedy, il se confie à Alain Peyrefitte [alors ministre de l'Information] et lui dit : «Vous savez, tout ça n'est pas une affaire de cow-boy, c'est une affaire d'OAS.» Et il ajoute : «De toute façon, on ne saura jamais la vérité, parce que si on connaît la vérité, il n'y a plus d'Etats-Unis.» Il a tenu ses propos tout de suite, après avoir passé 48 heures aux Etats-Unis. Avec qui a-t-il discuté à Washington ? On l'ignore. Ce qu'il veut dire, c'est qu'on est dans une affaire de barbouzerie de haut niveau. On a longtemps cru qu'Oswald était un simple pigeon, mais il était complice dans la conspiration. Il n'en était pas l'organisateur, mais il a amené le fusil, très probablement, même s'il n'a sans doute pas tiré. Dans cette affaire, il y a à la fois des tueurs, mais aussi des tireurs de ficelle qui ne sont pas des imbéciles. Que l'affaire soit montée aussi haut que le directeur du FBI Hoover ou le patron de la CIA, je ne le crois pas. En revanche, je pense qu'ils ont cherché à cacher leurs erreurs. Car s'ils avaient été plus attentifs, ils auraient probablement pu repérer Oswald plus tôt.