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Libération
Ukraine

Mikheïl Saakachvili, chef d’un village d’irréductibles protestataires à Kiev

L'ancien président géorgien a pris la tête d'un mouvement de contestation, formé par des vétérans de guerre installés dans des tentes aux abords du Parlement d'Ukraine. Il demande la démission du président Porochenko mais risque l'extradition vers la Géorgie.
L'ancien président géorgien Mikheïl Saakachvili dans une tente installée près du Parlement ukrainien. (Photo Sergei Supinsky. AFP)
publié le 27 octobre 2017 à 16h04

«Kiev, lève-toi ! Honte ! Les bandits dehors !» A l'invitation de Mikheïl Saakachvili, la foule scande des slogans révolutionnaires bien connus. Ce mercredi soir, devant la Verkhovna Rada, le Parlement d'Ukraine, l'ancien président géorgien teinte son discours de références au Maïdan de l'hiver 2013-2014. Mais aujourd'hui, ils ne sont que quelques centaines à écouter, dans le froid, le tonitruant «Misha». Ils se dispersent vite dès la fin de son discours. Le village de tentes, installé aux abords du bâtiment depuis le 17 octobre, n'est peuplé que de vétérans de guerre, l'air rustre et désabusé, principalement liés aux bataillons nationalistes paramilitaires «Donbass» et «Azov», longtemps engagés à l'est contre les séparatistes, ou encore au parti d'extrême droite «Svoboda». L'ambiance est radicalement différente de celle qui avait régné sur la place de l'Indépendance il y a bientôt quatre ans.

«Pendant la guerre, à l'est, je croyais que l'ennemi était uniquement devant nous, sur le front. Quand j'ai été démobilisé, j'ai été écœuré par la situation dans le pays. J'ai compris qu'il fallait changer quelque chose de l'intérieur.» Bohdan Lezitski, vétéran représentant du bataillon Donbass assure être prêt à se défendre contre les forces de police qui cernent le camp, et vouloir rester «jusqu'au bout». C'est-à-dire jusqu'à ce que le président Petro Porochenko, accusé d'autoritarisme et de corruption, se plie aux demandes du mouvement.

Retrait de citoyenneté ukrainienne

«Création d'une haute cour anticorruption, fin de l'immunité des parlementaires et réforme du code électoral», c'est le credo qu'assène Yehor Sobolyev, député du parti Samopomitch, dont dépend «Donbass». Un drapeau jaune et bleu sur les épaules, il déambule entre les tentes couvertes de slogans politiques, la cantine, et les barrages de police. «Sans pression de la rue, on ne pourra pas en finir avec la spirale de corruption qui nous bloque», justifie-t-il. Depuis février 2014, c'est la première fois que l'opposition reprend le contrôle de la rue pour protester contre Petro Porochenko, lui-même porté au pouvoir par la contestation.

Yehor Sobolyev veut croire en «un sursaut citoyen». Mais des citoyens, on en voit peu parmi la centaine de personnes qui peuplent le camp. Une coalition hétéroclite de députés réformateurs, militants anticorruption ou encore vétérans nationalistes avaient travaillé au lancement d'un vaste mouvement le 17 octobre, mais ils n'étaient parvenus à mobiliser qu'environ 5 000 personnes. Dès le premier soir, beaucoup s'étaient désolidarisés du nouveau village de tentes. Daria Kaleniouk, vice-directrice de l'ONG anticorruption Antac, explique son désengagement en condamnant les quelques échauffourées entre protestataires et police. En plus de quoi, «Saakachvili a changé, de sa propre initiative, les demandes du mouvement, en réclamant la démission de Porochenko», regrette-t-elle.

De fait, Mikheïl Saakachvili et son microparti «Mouvement des nouvelles forces» sont devenus les éléments centraux de ce village. Engagé dans un duel à mort avec son ancien ami Petro Porochenko, celui qui fut un temps le gouverneur de la région d’Odessa conteste le retrait de sa citoyenneté ukrainienne, fin juillet. Opérant un retour en force en Ukraine, le 10 septembre, pour fédérer des forces d’opposition, il est désormais délaissé par la société civile et ses soutiens politiques.

«Rassemblements politiques»

L'étau se resserre autour de lui. Mardi, il s'est vu refuser le statut de réfugié à Kiev. «Rien ne s'oppose plus à son extradition vers la Géorgie», a aussitôt fanfaronné le Procureur général Iouri Loutsenko. L'ancien Président géorgien y est recherché pour abus de pouvoir et corruption. Sans attendre, Mikheïl Saakachvili a annoncé emménager dans le camp, sous la protection des vétérans de guerre. Aux abords du Parlement, c'est donc un village d'irréductibles protestataires qui se tient. Mikheïl Saakachvili aurait de bonnes raisons de prendre ses précautions. Iouri Loutsenko l'a accusé directement d'être le cerveau d'un groupe fomentant un «coup d'Etat». Plusieurs de ses partenaires géorgiens ont déjà été soit arrêtés, soit expulsés du pays.

Face au flou qui entoure les ambitions du camp, et à la faible mobilisation populaire, Petro Porochenko se plaît à dénigrer «ces 30-40 personnes qui s'autoproclament un mouvement national». Accablé de critiques, en Ukraine et à l'étranger, le Président cherche à renforcer sa stature d'homme d'Etat, et de chef des armées. Volodymyr Ariev, député de la majorité présidentielle, met en avant les résultats conséquents obtenus «en seulement trois ans». Quant au village de tentes, «ce sont avant tout des rassemblements politiques en vue de l'élection présidentielle de 2019», regrette-t-il.

Le risque de radicalisation des vétérans est néanmoins réel. En témoigne la mise à sac d'un tribunal de Kiev, en début de semaine, par des militants nationalistes cherchant à libérer un des leurs. «Nous ne voulons pas attaquer la police ou saisir le Parlement. Nous n'avons pas d'armes ici sur le camp, assure placidement le vétéran Bohdan Lezitski. Mais tout bon soldat sait s'en procurer quand la nécessité se fait sentir.»