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Catalogne

Pour Mariano Rajoy, le casse-tête de la mise sous tutelle

Catalogne: vers l'indépendance?dossier
Après l’annonce de l’indépendance, le Sénat madrilène a voté en urgence l’article 155. Son application s’annonce délicate.
Mariano Rajoy, le 27 octobre 2017 à Madrid (Photo JAVIER SORIANO. AFP)
publié le 27 octobre 2017 à 20h56

En réponse aux «actes illégaux» commis par les séparatistes depuis début septembre - dont le référendum interdit du 1er octobre -, Madrid dispose désormais d'un arsenal juridique sur mesure pour étouffer la rébellion institutionnelle en Catalogne. Depuis des semaines, le «155» est sur toutes les bouches, sans que l'opinion espagnole sache précisément de quoi il retourne, sauf qu'il s'agit de la mise sous tutelle d'une région insoumise par le pouvoir central.

Jamais appliqué en quarante ans de démocratie, l'article 155 de la Constitution espagnole confère au gouvernement central toute latitude pour prendre le contrôle sur ladite région «rebelle». Il propose des mesures coercitives à la carte : le gouvernant peut à sa guise préférer une mise sous tutelle soft ou bien totale. Vendredi, à la suite d'une houleuse séance au Sénat, le conservateur Mariano Rajoy a choisi la deuxième option : avec l'aval de la Chambre haute (où son Parti populaire détient la majorité absolue), il a annoncé une «suspension» pure et simple des institutions catalanes. Dans la pratique, hormis le Parlement autonome, dont les fonctions seront réduites à la portion congrue, toutes les institutions catalanes seront placées sous la férule des ministères centraux dans la capitale espagnole.

Défi. Quoique l'exécutif de Mariano Rajoy navigue à vue quant à l'application de mesures inédites, on dispose d'ores et déjà de plusieurs certitudes. Sauf esprit va-t-en guerre de Madrid - ce qui n'est pas dans son intérêt -, la première est que le «155» s'appliquera de façon graduelle pendant une durée de six mois. Pas question de prendre simultanément le contrôle de l'exécutif, des finances régionales, du centre des télécommunications, de la police autonome, des médias publics ou de l'enseignement. Tout d'abord parce que Madrid ne dispose pas de la capacité logistique pour le faire en peu de temps ; ensuite parce que cette série de mainmises sans précédent provoquerait certainement des affrontements entre les forces de l'ordre et des mouvements populaires surexcités. Deuxième certitude : la priorité des autorités centrales sera le «govern», c'est-à-dire le gouvernement séparatiste dirigé par Carles Puigdemont. Ce dernier devra être destitué, ainsi que ses treize ministres régionaux, à la suite de quoi des «experts» et des «gestionnaires» prendront les manettes des administrations en question.

Pour le gouvernement de Rajoy, soutenu par les socialistes et les centristes libéraux, il sera aussi crucial de dominer la police autonome catalane et ses 17 000 Mossos d'Esquadra, bien plus nombreux que les quelque 6 000 gardes civils et policiers nationaux présents en Catalogne. «Lors du référendum interdit du 1er octobre, on avait pu constater que les Mossos agissaient plutôt en faveur des votants, et non pas pour la défense de la légalité espagnole», éditorialise le quotidien conservateur ABC. D'ailleurs, le major des Mossos a été poursuivi en justice à Madrid pour «sédition». Le pouvoir central s'attachera donc à nommer au plus vite un remplaçant.

Quoi qu’il arrive, il sera très compliqué pour l’administration Rajoy d’appliquer cet article. En particulier pour ce qui concerne la suspension de la Generalitat (le siège du pouvoir à Barcelone), ses ministères, ainsi que les forces de l’ordre catalanes. Plusieurs voix sécessionnistes ont prévenu que l’on devait s’attendre à un véritable mouvement de désobéissance civile au sein de ces organismes.

Autre défi de taille pour le pouvoir central : les mobilisations des nationalistes, qui pourraient bloquer l'accès des forces espagnoles aux institutions et autres organismes contrôlés par la Generalitat et causer des altercations dangereuses. Or, après la terrible image donnée par l'Espagne avec les charges policières pendant le référendum du 1er octobre, Mariano Rajoy entend à tout prix agir de la manière la moins violente possible. Cela ne sera pas aisé : les milieux indépendantistes, très bien organisés, ont déjà démontré leur capacité de mobilisation grâce aux deux grands mouvements associatifs, l'Assemblée nationale de Catalogne et Omnium Cultural, dont les deux chefs de file ont été incarcérés pour «sédition» à la mi-octobre.

Faible. L'entreprise de mise sous tutelle est aussi rendue plus difficile par le fait que l'Etat espagnol n'y a qu'une place discrète, cette riche région disposant d'une des autonomies les plus généreuses d'Europe. A titre d'exemple, sur ses 220 000 fonctionnaires, seuls 9 % travaillent pour l'administration centrale. Certes, la vice-présidente du gouvernement Rajoy, Soraya de Santamaria, a annoncé que les employés publics désobéissants seraient mis à l'index, sans salaires. Mais, «dans la pratique, souligne le journaliste Ruben Amon, la faiblesse des moyens humains et matériels de Madrid risque de compliquer la tâche. Il est fort possible que l'article 155 naufrage dans un territoire hostile, où presque toutes les prérogatives ont, au cours de ces trente dernières années, été transférées vers la Catalogne.»

Enfin, l’administration Rajoy est faible, puisqu’elle gouverne en minorité et qu’elle dépend des socialistes pour poursuivre la mise sous tutelle de la région rebelle.