Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l'actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Vingt-sixième épisode : octobre 2017. Si vous avez manqué l'épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là).
Santé
Une prothèse vaginale au cœur d’un scandale sanitaire en Australie
Elle aurait été posée à plusieurs dizaines de milliers de femmes dans le monde. La prothèse vaginale Prolift, inventée par des médecins français pour remédier à la descente d'organes, fait en ce moment l'objet d'un recours collectif de 800 femmes en Australie, raconte Rue 89. Ce filet en plastique, qui se suspend «comme un hamac à l'intérieur du vagin», est accusé d'entraîner «des défauts de cicatrisation et une réaction inflammatoire à l'intérieur du vagin», décrit la journaliste Nolwenn Le Blevennec. Chez certaines patientes, le dispositif, implanté au cours d'une opération délicate, tire sur des terminaisons nerveuses, et peut même perforer la vessie ou le rectum. Le Prolift «cisaille le vagin», fait l'effet d'une «râpe à fromage» ou d'un «papier de verre», décrivent certaines.
Aux Etats-Unis, où le produit a été interdit en 2012, des femmes ont obtenu des dommages et intérêts pour des douleurs pendant les rapports sexuels, non indiquées dans la notice initiale. Une femme du Dakota, qui a dû subir 18 opérations pour retirer la prothèse, a obtenu 11 millions de dollars (un peu moins de 9,5 millions d'euros au cours actuel). Les neuf médecins français, qui ont vendu leur brevet au laboratoire américain Johnson & Johnson, auraient touché au moins 5,5 millions d'euros de royalties, selon l'Obs, qui précise que le labo, contacté, n'a pas souhaité répondre à ses questions. En France, la prothèse a été retirée du marché en 2013, mais depuis, des systèmes similaires mais plus légers sont toujours posés.
En octobre, on a aussi parlé grossesse à l'occasion de l'annonce du retrait du marché d'un médicament (notamment) utilisé pour déclencher des accouchements à terme et de la publication d'un guide juridique destinée aux femmes enceintes. On a aussi décrypté la surconsommation de médicaments chez la femme enceinte. Et relayé l'initiative d'Américaines qui ont envoyé leurs factures de contraception directement à la Maison Blanche.
Corps, sexualités et genres
Du rififi pour des poils
Dans une campagne de pub, la marque Adidas met en scène la mannequin et artiste Arvida Byström, laquelle porte une paire de tennis argentées aux pieds. «Je pense que la féminité, c'est un concept culturel. Je pense que tout le monde peut être féminine, faire des choses féminines, et que la société actuelle a très peur de ça», expliquait l'artiste dans la vidéo. Jusque-là, tout va bien. Mais la jeune femme a eu l'audace de se laisser filmer les jambes nues, recouvertes de poils, puisqu'elle ne s'épile pas. Ce fut assez pour que les haters de tous poils (pardon) s'autorisent à commenter la chose, et que jaillissent insultes et menaces. Si certains doutent encore du contrôle que la société exerce sur le corps des femmes, notamment via ce genre de commentaires, qu'ils tentent une autre explication pour justifier ces menaces. On attend.
En octobre, on a aussi interviewé la réalisatrice Ovidie et la dessinatrice Diglee à l'occasion de la parution de leur ouvrage féministe illustré, qui invite les femmes à se libérer des diktats sexuels contemporains. Et on s'est interrogé sur la tenue à Varsovie d'un concours de miss «pour changer l'image des femmes en fauteuil roulant».
Sexisme «ordinaire»
«Ni vues ni connues», faire sortir les femmes des oubliettes de l’histoire
Les femmes ne représentent que 2% des noms de rues françaises, et leur place est encore souvent anecdotique dans les manuels scolaires. Elles sont pourtant bien présentes dans l'histoire de l'art, de la philosophie, de la politique ou des sciences. Il suffit d'ouvrir Ni vues ni connues, paru le 5 octobre aux éditions Hugo-Doc, pour s'en rendre compte. Derrière cet ouvrage, le collectif féministe Georgette Sand, qui s'était fait connaître en 2014 en se mobilisant contre la «taxe tampon».
Sur plus de 200 pages, les militantes dressent les portraits de 75 femmes «fortes, libres, indépendantes» qui ont «bravé les obstacles, envoyé valser les diktats et changé le monde» dans des domaines aussi variés que les arts martiaux, la musique électronique, la conquête spatiale ou la lutte contre le racisme. Les courtes biographies, documentées et accessibles, racontent en creux l'histoire de l'invisibilisation des femmes, par leur entourage, l'Etat ou l'Eglise. On y découvre Hatchepsout, reine-pharaonne du XVe siècle avant J.-C., Hilma af Klint, pionnière de l'art abstrait, la nageuse australienne Annette Kellerman, à l'origine du maillot de bain moderne, Bessie Coleman, première aviatrice afro-américaine, ou Fatima al-Fihri, à l'origine de la plus ancienne université du monde. Des figures inspirantes qui ne sont qu'un point de départ : sur les rabats du livre figurent des dizaines de noms d'autres femmes à faire sortir des oubliettes de l'Histoire.
En octobre, on a aussi visité l'exposition «Salope ! et autres noms d'oiselles», consacrée à l'insulte au féminin, et relayé une étude inédite sur l'invisibilisation des footballeuses.
Violences
Ne plus se taire face aux «Harvey Weinstein» de tous bords
Très forte actualité ce mois-ci autour du harcèlement et des violences sexuelles. Après que le producteur américain Harvey Weinstein a été accusé par de nombreuses actrices de tentatives de viol, de viols ou de harcèlement sexuel, on commence à sortir de la culture du silence, et de nombreuses autres victimes de harcèlement ou de viol, dans tous les milieux sociaux et professionnels, se sont fait connaître. Avec le mouvement #Metoo mais aussi en racontant courageusement leur histoire, à visage découvert et en accusant nommément leur agresseur. Au point que même le Parlement britannique s'est remis en question.
Au-delà des affaires judiciaires, le mouvement a permis (enfin, on l'espère) de faire comprendre l'ampleur du phénomène, que le harcèlement n'est pas une affaire de culture potache, que tout ne se règle pas dans les tribunaux, et que ce n'est pas tant aux filles d'apprendre à se défendre qu'aux garçons d'apprendre à ne pas violenter, physiquement ou moralement, les filles et les femmes. Le mouvement, qui n'a évidemment pas été exempt de critiques, est au moins entamé, et on ne peut que s'en réjouir. Retrouvez tout notre dossier ici.
En octobre, on est aussi revenu sur la polémique autour du clash télévisé Angot-Rousseau sur la question de la prise en charge des agressions sexuelles, parlé du tollé provoqué par la une des «Inrocks» consacrée à Bertrand Cantat, et fait le point sur la polémique autour de la rétrospective Roman Polanski à la Cinémathèque française. On a aussi assisté à une pièce-débat sur l'allongement du délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs et interviewé la psychiatre Muriel Salmona sur l'impunité des coupables de violences sexuelles.
Droits civiques, libertés
Au Pérou, des miss contre les violences faites aux femmes
Circuler tranquillement dans la rue devrait être un droit fondamental. Tout commme ne pas se faire exploiter, violer ou agresser sexuellement. Le 29 octobre, des prétendantes au titre de Miss Pérou (ci-dessous Romina Lozano, la gagnante, photo AFP) ont profité de l'enregistrement de l'émission pour rappeler des statistiques sur les violences faites aux femmes dans le pays d'Amérique du Sud au lieu de donner leurs mensurations. Elles ont par exemple rappelé que «plus de 70% des femmes au Pérou sont victimes de harcèlement de rue», que toutes les dix minutes dans le monde «une fillette meurt, victime de l'exploitation sexuelle», ou encore que «81% des auteurs d'agressions sur des jeunes filles de moins de 5 ans sont proches de la famille». «Malheureusement, il y a beaucoup de femmes qui ne savent pas et pensent être des cas isolés, a déclaré à l'AFP l'organisatrice du concours Jessica Newton, Miss Pérou 1987. La reine de beauté nationale doit être l'ambassadrice des femmes qui se tiennent debout, de toutes celles qui n'ont pas de voix», a-t-elle estimé.
Travail
L’écriture inclusive, outil pour plus d’égalité en entreprise
Le code du travail leur impose de respecter l'égalité professionnelle et de prendre des mesures pour l'atteindre. Sauf que les plus petites entreprises sont souvent moins armées que les grands groupes pour traiter ces questions. Un guide spécialement pensé pour les TPE et les PME a donc été conçu par le ministère du Travail et le secrétariat d'Etat chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes. Parmi les bonnes pratiques préconisées par ce nouveau document : l'usage de l'écriture inclusive, au cœur des débats depuis la publication par Hatier d'un manuel scolaire rédigé en se basant sur ces règles orthographiques plus neutres et égalitaires (Libé vous en parlait ici). «User du féminin et du masculin dans vos discours, à l'oral comme à l'écrit», recommande le document consultable sur le site du ministère de Travail. On dira donc «les clientes et les clients» (ce qu'on appelle la double-flexion) ou, à l'écrit, «les client.e.s», avec des points.
Autre recommandation : l'élimination des expressions sexistes, type «chef de famille», ou «mademoiselle» des formulaires ou des courriers. «Monsieur et madame suffisent», peut-on lire. Le livret conseille aussi d'accorder noms de métiers et fonctions («technicienne», «ingénieure»…) sur les cartes de visite ou les contrats, et de féminiser les offres d'emploi (en préférant par exemple «technicien/technicienne» à «technicien h/f»). Un petit changement qui peut permettre aux candidates potentielles de davantage se projeter dans le poste.
En octobre, Libé a aussi donné la parole à des femmes agricultrices, des «invisibles» au statut souvent précaire qui devraient être les premières à bénéficier du futur congé maternité unique.
Famille, vie privée
La pub sous-représente toujours les hommes dans l’accomplissement des tâches domestiques
Changer les comportements passe par changer les représentations et l'imaginaire. A en croire une enquête du CSA datée de fin octobre, les femmes sont toujours sous-représentées dans les pubs (elles sont 52% de la population et pourtant n'apparaissent que dans 46% des pubs) mais sont surreprésentées dans les spots traitant d'un produit d'entretien. Par ailleurs, quand un «expert» est prétendument interrogé dans une pub, il ne s'agit que dans 18% des cas de femmes. «Ce qui est le plus frappant, c'est la proportion d'hommes parmi les experts, alors que les femmes apparaissent majoritairement comme des consommatrices et des objets de désir», et sont parfois «présentées dans des poses suggestives qui n'ont souvent rien à voir avec le produit promu», souligne Sylvie Pierre-Brossolette auprès de l'AFP. Moralité : pour vivre heureux, éteignons la télé.
En octobre, Libé s'est aussi penché sur la difficile combinaison entre carrière et maternité dans le milieu de la danse. Une enquête réalisée sous l'égide du ministère de la Santé relayée dans nos pages pointe aussi l'âge de plus en plus tardif des femmes enceintes et les risques qui en découlent.
Education
Sortir des représentations sexistes dans les livres pour enfants
De Petit Ours brun, où Maman ours est presque toujours en tablier à la vision stéréotypée des schtroumpfettes, réduites à leur féminité et en passant par une Blanche-Neige enfermée à la maison… les dessins animés, livres ou BD qui ont accompagné notre enfance sont empreints de sexisme. Il suffit de les regarder aujourd'hui, avec nos yeux d'adulte, pour le réaliser : quand elles ne font pas le ménage les filles pleurnichent et sont nunuches. Est ainsi consolidée l'idée, dès le plus jeune âge, que les filles – qui ont souvent des seconds rôles – sont inférieures aux garçons –auxquels on s'identifie. Un article de Slate, qui dresse un top 10 de ce qui s'est fait de pire dans le domaine, s'interroge alors : comment est-ce possible que ces stéréotypes si grossiers nous aient échappé quand nous étions enfants ?
D'abord, parce que «ces représentations sont tellement courantes, tellement naturalisées et ancrées partout dans la culture qu'on ne les perçoit tout simplement pas», explique la chercheuse Hélène Breda. Ensuite parce qu'à l'époque, les enfants «n'avaient pas les bonnes grilles de lecture». De nos classiques d'enfance, tout n'est pourtant pas à jeter. Il serait possible de tirer une lecture féministe de ces œuvres sexistes, de piocher quelques éléments positifs – la princesse a besoin de son prince mais elle a aussi su se débrouiller seule avant de le retrouver. Mieux vaut donc ne pas les cacher à notre progéniture. «Cela me semble important de revenir avec ses enfants sur ce qu'on a pu aimer soi-même», explique la sociologue Viviane Albenga. Reste à en discuter, et faire réaliser ce qui est problématique.
En octobre, l'ONG ONE a aussi publié un rapport qui relève que neuf des dix pays où l'accès des filles à l'éducation est le plus difficile sont sur le continent africain. Pour parler aux enfants de l'égalité filles-garçons et du respect du corps, le P'tit Libé a sélectionné plusieurs livres destinés aux petits ou aux plus grands.
Choses lues, vues et entendues ailleurs que dans «Libé»
• On a marqué le rendez-vous dans notre agenda : chaque premier mercredi du mois, la journaliste Charlotte Bienaimé interroge dans Un Podcast à soi, diffusé sur la plateforme Arte Radio, une question de société liée à l'égalité femmes-hommes. Le premier épisode, «Sexisme ordinaire en milieu tempéré», aborde le thème du sexisme au travail.
• Quand Usbek & Rica rencontre l'auteure Chloé Delaume sur le futur de la condition féminine et de la domination masculine, ça donne une interview optimiste pleine de punchlines («le patriarcat bande mou»), à lire ici.
• Dans une vidéo à voir ici et publiée cette semaine sur la nouvelle page Facebook «Meufs» lancée par Buzzfeed France, trois femmes victimes de violences obstétricales témoignent. Leurs histoires sont entrecoupées d'explications et de rappels juridiques de spécialistes.
• Une immersion au cœur d'un salon de coiffure afro parisien : c'est le concept de la nouvelle mini-série Youtube Soul Sisters, déclinaison féminine du Barber show. Le premier épisode parle de Beyoncé et de Rihanna et est plutôt rafraîchissant.
• Votre dernière partenaire a-t-elle eu un orgasme ? C'est la question, apparemment simple, posée à des hommes hétéros dans ce micro-trottoir. Derrière le côté potache, les réactions embarrassées des interviewés montrent que le plaisir féminin est hautement politique.
• A l'occasion de la parution aux éditions Autrement d'Impunité zéro, une enquête sur les viols en temps de guerre, les coauteures Anne-Laure Pineau et Justine Brabant expliquent dans Cheek Magazine et pour BastaMag comment les crimes sexuels sont utilisés comme arme de guerre et restent généralement impunis.
• L'Obs s'est penché sur les femmes qui «décident» de «devenir» lesbiennes, pour se libérer du regard des hommes dans leurs relations amoureuses. Un lesbianisme politique mal vu par une partie des mouvements lesbiens, qui y voient la validation de l'idée qu'être lesbienne serait un choix.
• Dans un texte émouvant publié dans le Guardian, Caterina Clerici, amie de la jeune journaliste suédoise Kim Wall, raconte la vie rocambolesque, au-delà du fait divers sordide, de celle qu'elle décrit comme une «femme libre».
• Au Canada, un homme sur cinq choisit la vasectomie comme moyen de contraception, raconte Usbek et Rica. La preuve que les femmes ne sont pas les seules à devoir porter cette charge.
• Pendant une semaine, l'émission de France Culture la Fabrique de l'histoire a exploré la thématique des jeunes filles. Le troisième épisode est consacré à la question du contrôle moral et physique de leurs corps au XIXe siècle. A écouter ici.
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[ La Poudre Lit ]
[ podcast ]