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Smog

Nuage de pollution en Inde : les autorités passent au travers

L’épisode de très fortes concentrations de particules fines qui touche notamment New Delhi est relativisé par le ministre indien de l’Environnement.
New Delhi, mardi. Le 8 novembre, le taux de particules fines était 40 fois supérieur au taux maximal préconisé par l’OMS. (Photo Manish Swarup. AP)
publié le 15 novembre 2017 à 19h06

Les Indiens ont eu une nouvelle raison de tousser, mardi, en entendant leur ministre de l'Environnement, Harsh Vardhan, relativiser l'épisode de pollution qui ensevelit la capitale depuis une semaine : «Il n'y a pas besoin d'effrayer les gens. Il faut seulement leur expliquer les précautions d'usage.»  Et d'enfoncer le clou :  «A Bhopal, quand une fuite de gaz [en 1984, ndlr] avait envoyé à l'hôpital des centaines de milliers de gens, ça, c'était vraiment une urgence.»  Pourtant, le même jour, les chercheurs du Centre pour les sciences et l'environnement (CSE), installé à New Delhi, exprimaient «un choc profond devant le nombre de morts estimées et les pertes massives en années de vie dues à l'augmentation de la pollution de l'air à Delhi et dans tout le pays», et rappelaient que chaque année, entre 10 000 et 30 000 personnes meurent de la pollution dans la capitale.

Depuis plus d'une semaine, la mégalopole de 17 millions d'habitants suffoque sous une pollution aux particules fines qui a poussé un responsable de la ville à déclarer sur Twitter que «Delhi est devenu une chambre à gaz». Après un pic spectaculaire de 1 000 microgrammes par mètre cube d'air le 8 novembre, soit 40 fois le taux maximum préconisé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le site de l'ambassade américaine, qui mesure le taux de particules ultra-fines (PM 2,5), indiquait encore 400 mardi. Soit, selon les calculs des chercheurs de Berkeley Earth, l'équivalent de 18 cigarettes fumées dans la journée. Les immenses bouchons de la capitale représentent un cinquième de la concentration en particules fines de l'air, à l'origine de maladies cardiovasculaires et pulmonaires. Mais le plan de circulation alternée, qui aurait dû être mis en place cette semaine, a été retoqué par le tribunal fédéral de l'environnement, à cause des multiples exemptions prévues pour les femmes, les hauts responsables (justice, politique, police…) et les deux-roues. Lundi, les villes de banlieue de Ghaziabad, Noida et Gurgaon affichaient un taux de pollution plus important encore que le centre de la capitale.

Briqueteries. Selon une étude de la revue The Lancet, parue en octobre, l'Inde est un des pays les plus affectés au monde par la pollution de l'air extérieur et intérieur, qui causerait 1,9 million de morts prématurées par an sur l'ensemble du territoire. Les mesures d'urgence, comme l'arrêt des briqueteries et des chantiers de construction, qui génèrent des poussières, ou l'interdiction des poids lourds ne règlent pas un problème chronique. Chaque année, la qualité de l'air se détériore à l'approche de l'hiver, quand le froid et l'absence de vent plaquent au sol les émissions polluantes des véhicules, des usines, des centrales à charbon, mais aussi les fumées venues des décharges et des brûlis dans les champs. Le CSE alarme sur les conséquences pour les enfants, dont près de la moitié souffriraient de problèmes respiratoires.Malgré cela, les 30 000 écoles qui avaient été fermées dans le nord du pays ont été autorisées à rouvrir lundi.

Si elle est la plus peuplée, New Delhi n'est pourtant pas la métropole indienne la plus irrespirable. Gwalior, Allahabad, Patna et Raipur figurent dans les dix villes les plus polluées au monde dans le palmarès 2016 de l'OMS (Delhi est 11e, et Pékin «seulement» 57e). Ce fléau coûterait à l'économie indienne 3 % de son PIB. Le pays fait de gros efforts pour développer les énergies renouvelables, en particulier le solaire. Mais il reste très dépendant des énergies fossiles polluantes pour répondre aux besoins de son 1,3 milliard d'habitants, dont un quart n'a toujours pas accès à l'électricité.

«Croissance». En juillet, le Niti, think tank proche du gouvernement, assurait dans son «plan pour la politique énergétique nationale» que la part du charbon dans le mix énergétique serait encore de 78 % en 2040, ce qui signifie que, contrairement à certaines de ses promesses, l'Inde, déjà quatrième émettrice mondiale de CO2, devrait construire une centaine de centrales thermiques après 2030. Rencontré à Paris au début du mois, l'ex-ministre de l'Environnement Prakash Javadekar s'agaçait : «D'autres pays vont construire des usines à charbon, et l'Inde, qui est une économie en croissance, ne fait pas exception. Pourquoi serions-nous les seuls à être pointés du doigt ?» Il soulignait que les autorités s'attaquent à toutes sortes de pollution, y compris celle de l'eau, mais que «cela prendra des années pour porter ses fruits, tout comme vous avez mis des décennies à dépolluer la Seine».

Le site indien The Third Pole rappelle qu'une grande part de la pollution dans l'Inde du Nord provient de la culture sur brûlis effectuée dans les Etats du Punjab et de l'Haryana, mais que le plan pour y remédier bute sur des problèmes financiers notamment parce que «le gouvernement dépense déjà des fortunes pour s'adapter au changement climatique, largement causé par les pays développés». Le site rappelle : «Le smog de Delhi ne peut être démêlé d'un problème global, qui ne pourra pas être résolu sans solution globale.» En attendant, New Delhi suffoque : mercredi, les hélicoptères qui devaient asperger d'eau les principales artères n'ont pu décoller à cause du nuage de pollution.