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Libération
Récit

Guerre de Bosnie : Ratko Mladic ferme le ban des accusés

Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie doit rendre son verdict ce mercredi dans le procès du «boucher des Balkans». Si la procédure clôt un long chapitre judiciaire, elle n’a pas encore permis de faire taire les divisions qui minent le pays.
Radko Mladic, le 7 mai 1993. (Photo Reuters)
par Mersiha Nezic, correspondante en Bosnie
publié le 21 novembre 2017 à 21h06

A la veille d’une série de jugements historiques, la Bosnie apparaît plus divisée que jamais. Cinq ans après le début du procès de Ratko Mladic, chef militaire des Serbes de Bosnie pendant la guerre (1992-1995), le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) de La Haye doit prononcer son verdict ce mercredi. La perpétuité a été requise contre celui qui est accusé d’être responsable du siège de Sarajevo (plus de 10 000 morts) et du génocide de Srebrenica (au moins 8 000 victimes). Il aurait ainsi orchestré le nettoyage ethnique en Bosnie en vue de créer un Etat serbe «pur». Malgré les onze chefs d’accusation retenus contre lui- dont génocide, crimes de guerre et contre l’humanité -, il est toujours considéré comme un héros par l’entité serbe de Bosnie et en Serbie. Mladic est le dernier sur 161 inculpés à être jugé en première instance par le TPIY - fondé en 1993, ce dernier doit fermer fin décembre. Radovan Karadzic, le chef politique des Serbes de Bosnie, avait pour sa part été condamné l’an dernier par la juridiction internationale à quarante ans de prison, entre autres pour crimes contre l’humanité. L’ex-président serbe Slobodan Milosevic est quant à lui mort en 2006, avant la fin de son procès.

«Légende»

Si son procès conclut une série de jugements aussi lourde qu'essentielle, le débat est loin d'être clos dans la région, le TPIY étant perçu par Belgrade et Banja Luka, la capitale des Serbes de Bosnie, comme un instrument anti-serbe. «Ce tribunal condamne facilement les Serbes, et très difficilement qui que ce soit d'autre. C'est une pratique qui dure depuis des années et, à cause de cela, la cour n'a pas contribué à la réconciliation comme elle était censée le faire. Il reste à voir quelle sera la situation après ce verdict qui, en dehors des tensions, provoquera beaucoup d'émotions», affirme le membre serbe de la présidence tripartite de la Bosnie-Herzégovine, Mladen Ivanic.

Quant à la télévision de la république serbe de Bosnie (la Republika Srpska, une des deux entités qui composent la Bosnie-Herzégovine avec la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine), la RTRS, elle répète en boucle les thèses de la défense, à l'image de la presse et des médias bosno-serbes. «Le chef de l'équipe d'avocats de Ratko Mladic, Branko Lukic, a déclaré que le procureur du Tribunal de La Haye dans le procès Mladic accuse tous les citoyens de la Republika Srpska qui avaient plus de 16 ans en 1992 et que tout verdict serait un verdict contre le peuple dans son ensemble», clame une dépêche de l'agence de presse de l'entité serbe de Bosnie Srna. Tous ces médias sont contrôlés par le puissant président de cette entité, Milorad Dodik, qui a lui-même répété à l'approche du verdict que, «quel qu'[il] soit […], Ratko Mladic reste une légende du peuple serbe».

Haine

Ce verdict intervient une semaine avant que ne soit prononcé le jugement à l'encontre de six hauts responsables militaires et politiques croates de Bosnie, dont leur ancien leader Jadranko Prlic, rejugés en appel. Agé de 57 ans, il avait été condamné en première instance en 2013 à 25 ans de prison pour avoir notamment organisé le transfert de populations bosniaques (musulmanes) du pays. «Il y a beaucoup de points de blocage en Bosnie-Herzégovine, en particulier entre les Bosniaques et les Croates, et le verdict dans le procès de Jadranko Prlic, quel qu'il soit, produira des tensions énormes et aggravera la crise», estime Mladen Ivanic.

Dans ce pays déjà divisé entre la Republika Srpska et la Fédération croato-bosniaque depuis la fin de la guerre, il suffit de peu pour attiser le désir des nationalistes croates de Bosnie de créer une troisième entité. Difficile de ne pas donner raison à Jovan Divjak, le général retraité de l'armée bosnienne resté pendant le siège de Sarajevo pour défendre la ville bien qu'issu de la communauté serbe : pour cet homme symbole du vivre ensemble, Mladic et les siens, ceux qui prônent la haine, ont finalement «gagné».