Harare s’est réveillé en se demandant s’il avait rêvé. En apparence, rien n’a changé dans la capitale zimbabwéenne. Des enfants en uniforme se rendent à l’école, des embouteillages encombrent les avenues du centre-ville, les vendeurs à la sauvette sont postés aux carrefours. En plus des mangues et chargeurs de téléphone habituels, ils ont fait le plein de petits drapeaux aux couleurs nationales, accessoires devenus incontournables qui s’affichent fièrement aux fenêtres des voitures.
Au bord d’une route, une pancarte appelle les électeurs à s’enregistrer pour voter lors du scrutin prévu l’an prochain : le visage de Robert Mugabe qui trônait au centre a été découpé. Le temps de se frotter les yeux, de se remémorer les événements de la soirée, et il n’y a plus aucun doute : le Zimbabwe vient de vivre un moment historique.
A lire aussi Zimbabwe : «le Crocodile» sur le devant de la scène
«Pour la première fois, je parle sans crainte»
Robert Mugabe, l’homme qui a dirigé le pays en autocrate pendant trente-sept ans, n’est plus chef de l’Etat. Au terme d’une crise qui a duré huit jours, lâché par tous, le vieux lion a fini par céder, d’abord sous la pression des militaires, puis sous celle du peuple et de son propre parti. Mardi soir, le président du Parlement a annoncé que Robert Mugabe venait de signer sa lettre de démission. Aussitôt, une explosion de joie a traversé la capitale. Le lendemain, l’euphorie flottait toujours dans l’air. Le Zimbabwe tourne les yeux vers un futur qui porte autant d’espoirs que d’incertitudes.
Dans le salon d'une petite maison de Mbare, une banlieue pauvre de la capitale, un groupe de jeunes prolonge la fête. Des cadavres de bouteilles de bière parsèment le sol. «J'ai grandi avec ce système. Pour la première fois de ma vie, je parle sans crainte. Rien que cela, c'est un formidable changement», dit Gresham Nyaude, un artiste peintre de 29 ans. Ses toiles sont entreposées dans un atelier improvisé, derrière la maison. «J'ai toujours essayé de parler de politique à travers mes œuvres, mais il y avait des choses que l'on ne pouvait pas dire.» Une chape de peur vient de se lever. Peu de Zimbabwéens regretteront le «Camarade Bob», ancien héros de la libération devenu despote, qui en s'accrochant au pouvoir a annihilé l'affection que certains pouvaient encore lui porter.
Mais à l'engouement du départ de Mugabe succède des questions sur l'avenir. «Je suis heureux que nous soyons débarrassés de Mugabe, pas que Mnangagwa le remplace, encore moins que ce soit l'armée qui l'ait porté au pouvoir, nuance Gresham Nyaude. En ce moment, il jouit d'une certaine sympathie, mais il n'a pas été choisi par le peuple.»
Samedi, une foule massive dans les rues de Harare réclamait le départ du président. Elle demandait aussi le retour d’Emmerson Mnangagwa, dans un moment d’amnésie collective né d’une soif de réforme. Mais à Mbare, personne n’a oublié les violences électorales de 2008 que celui qui deviendra vendredi le nouveau chef de l’Etat est soupçonné d’avoir commanditées avec l’aide de l’armée et de milices. Entre les deux tours du scrutin, les brutalités visant à mater l’opposition, afin de s’assurer que Robert Mugabe conserve le pouvoir, avaient alors fait plus de 200 morts.
A Mbare, les sympathisants du Mouvement pour le changement démocratique (MDC) de Morgan Tsvangirai ont été traqués par les redoutés Chipangano (le «pacte», en langue shona), des milices de jeunes de la Zanu-PF, le parti au pouvoir. «Ils ont fait irruption un soir chez nous. Ils ont saccagé la cuisine, nous ont jeté des œufs à la figure, puis nous ont frappés violemment, mon épouse et moi», raconte David Rakabopa, 77 ans. Après ces attaques, le grand-père a passé un mois sur un lit d'hôpital, le crâne fracturé. Aujourd'hui, il se dit prêt à pardonner. «Nous ne voulons pas juger [Mnangagwa] sur ce qu'il a fait mais sur ce qu'il fera, dit-il. Mais il appartient à la Zanu-PF, et j'ai peur qu'il ne soit pas différent de Mugabe. Ce que je désire, c'est la mise en place d'un gouvernement d'unité nationale.»
Une pile de formulaires
David Rakabopa craint, comme beaucoup, qu'après avoir installé leur nouveau favori à la tête de l'Etat, les généraux s'assurent qu'il y demeure, quelle que soit la volonté du peuple. Une voisine, elle aussi militante du MDC, passe la porte. Elle tient dans la main une pile de formulaires et fait le tour du quartier pour encourager les électeurs à s'enregistrer en vue du scrutin qui suivra, à une date à déterminer, la période de transition. «Désormais, dit-elle, c'est plus important que jamais.»