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Allemagne : Schulz change de ton et va parlementer avec Merkel

Face à la perspective de nouvelles élections, et pour éviter l’immobilisme six mois de plus, les sociaux-démocrates se déclarent prêts à discuter avec la CDU de la chancelière et la CSU de la formation d’une grande coalition.
Le chef des sociaux-démocrates allemands, Martin Schulz, lundi à Berlin, peu après l’échec des précédentes négociations. (Odd Andersen. AFP)
publié le 24 novembre 2017 à 19h56

Aucune fumée blanche ne s'est encore élevée au-dessus du Bundestag, et l'Allemagne n'a toujours pas de gouvernement. Mais vendredi, un sérieux tournant politique s'est amorcé. Impensable lundi dernier encore, une troisième édition de la fameuse «GroKo», une «grande coalition» gouvernementale réunissant les conservateurs d'Angela Merkel et les sociaux-démocrates de Martin Schulz, est désormais possible. Et même probable : «Le SPD est fermement convaincu qu'il est plus que jamais nécessaire de discuter. Le SPD ne refusera pas de participer aux discussions auxquelles il sera invité», a expliqué le secrétaire général du parti, Hubertus Heil, dans la nuit de jeudi à vendredi, après huit heures de discussions entre les membres de la direction du SPD.

L'invitation n'a pas tardé à arriver. Les dirigeants sociaux-démocrates et conservateurs ont été priés vendredi par le président de la République fédérale, Frank-Walter Steinmeier, de venir le rencontrer la semaine prochaine pour discuter d'une coopération éventuelle. Vendredi à 13 h 15, le président du SPD, Martin Schulz, a fait une mise au point officielle : «J'ai reçu de nombreux appels inquiets de la part de nos amis européens», a-t-il expliqué, soulignant que le SPD n'était pas du genre à fuir ses responsabilités pour l'Allemagne et pour l'Europe. Il a donc renoncé à son opposition de principe à une coalition avec la chancelière pour discuter d'une sortie de crise : «Une chose doit être claire cependant : si ces discussions devaient aboutir, d'une manière ou d'une autre, à une participation à la constitution d'un gouvernement, il reviendra alors aux militants de notre parti de voter», a-t-il prévenu.

Nerfs. Vu de France, ce virage à 180 degrés peut sembler étonnant. Deux mois durant, Berlin s'est en effet crispé autour de la construction d'une coalition «jamaïcaine» inédite, et visiblement un peu contre-nature, réunissant les partis conservateur, libéral et écologiste (dont les couleurs, noir, jaune et vert, évoquent le drapeau jamaïcain). Pendant ce temps, Martin Schulz ne cessait de marteler qu'une cure d'opposition ferait le plus grand bien au parti de Willy Brandt, ébranlé par un score historiquement bas de 20,5 %. Mais c'était sans compter les angoisses du Parti libéral et de son président, Christian Lindner. Inquiet de constater la trop bonne entente entre la chancelière conservatrice et ses interlocuteurs écologistes, et finalement persuadé de devenir la cinquième roue du chariot dans une éventuelle coalition «jamaïcaine», ses nerfs semblent avoir lâché. Dans une mise en scène bien préparée, il a déclenché la crise politique actuelle en annonçant son retrait définitif des négociations, au motif que «mieux vaut ne pas gouverner que mal gouverner».

Depuis cette phrase explosive, la situation a totalement changé. «Merkel refuse l'option instable d'un gouvernement minoritaire, qui n'est pas très populaire en Allemagne et qui la mettrait à la merci de ses adversaires. Les deux options restantes sont donc de nouvelles élections ou un changement d'avis du SPD. Mais à part l'AfD [parti d'extrême droite, ndlr], qui se réjouit à l'idée de nouvelles élections à l'issue incertaine ? Personne !» remarque le politologue berlinois Gero Neugebauer.

Obstacle. Depuis cette semaine, la phrase de Willy Brandt qui expliquait jadis que «le pays passe avant le parti» a donc refleuri dans les bouches de nombreux sociaux-démocrates, qui ont fait pression sur Martin Schulz pour qu'il abandonne sa position de refus systématique : «Le SPD a peur qu'on l'accuse de mensonge et de faiblesse s'il abandonne sa promesse d'opposition. Mais un tel virage ne serait pas une défaillance, bien au contraire, ce serait l'expression de la responsabilité, une responsabilité que le FDP a refusée», écrivait il y a quelques jours Heribert Prantl, l'éditorialiste en chef du quotidien Süddeutsche Zeitung, exprimant ainsi l'avis de nombreux Allemands. Reste un obstacle de taille. Le choix d'un retrait «reconstructeur» dans l'opposition est très populaire parmi les 475 000 adhérents du parti et un certain nombre de dirigeants du SPD. «De très nombreuses discussions seront nécessaires avant d'aboutir à une décision, quelle qu'elle soit», a encore précisé Martin Schulz, dont l'avenir à la présidence du parti se jouera lors d'un congrès début décembre.