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GroKo

Les sociaux-démocrates allemands n’excluent plus une grande coalition

Placé face à la perspective de nouvelles élections aux résultats incertains, et pour éviter que l’Allemagne et l’Europe ne soient frappées d’immobilisme six mois de plus, le SPD s’est déclaré prêt à discuter de la formation d’une troisième grande coalition avec la CDU de Merkel.
Conférence de presse de Martin Schulz le 24 novembre au siège du SPD à Berlin, au côté d'une statue de l'ancien chancelier Willy Brandt. (Photo John MacDougall. AFP)
publié le 24 novembre 2017 à 16h10

Aucune fumée blanche ne s'est encore élevée au-dessus du Bundestag, et l'Allemagne n'a toujours pas de gouvernement. Mais depuis hier, un sérieux tournant politique est en train de s'amorcer. Impensable encore lundi dernier, une troisième édition de la fameuse «GroKo», une «grande coalition» gouvernementale réunissant les conservateurs d'Angela Merkel et les sociaux-démocrates de Martin Schulz, est désormais possible. Et même probable : «Le SPD est fermement convaincu qu'il est plus que jamais nécessaire de discuter. Le SPD ne refusera pas de participer aux discussions auxquelles il sera invité», a expliqué le secrétaire général du parti, Hubertus Heil, dans la nuit de jeudi à vendredi, après huit heures de discussions intenses entre les membres de la direction du SPD.

L'invitation n'a pas tardé à arriver. Les dirigeants sociaux-démocrates et conservateurs ont été priés par le président de la République fédérale, Frank-Walter Steinmeier, de venir le rencontrer la semaine prochaine pour discuter d'une coopération éventuelle. A 13h15, le président du SPD, Martin Schulz, a aussi fait une mise au point officielle : «J'ai reçu de nombreux appels inquiets de la part de nos amis Européens», a-t-il expliqué, soulignant que le SPD n'était pas du genre à fuir ses responsabilités pour l'Allemagne et pour l'Europe. Il a donc renoncé à son opposition de principe à une coalition avec la chancelière pour discuter d'une sortie de crise : «Une chose doit être claire cependant : si ces discussions devaient aboutir, d'une manière ou d'une autre, à une participation à la constitution d'un gouvernement, il reviendra alors aux militants de notre parti de voter», a-t-il prévenu.

Un parti libéral au bord de la crise de nerf

Vu de France, ce virage à 180 degré peut semble étonnant. Deux mois durant, Berlin s’est en effet crispé autour de la construction d’une coalition «jamaïque» inédite, et visiblement un peu contre nature, réunissant les partis conservateurs, libéral et écologiste (dont les couleurs, noir, jaune et vert, évoquent le drapeau jamaïcain). Pendant ce temps, Martin Schulz n’a cessé de marteler qu’une cure d’opposition ferait le plus grand bien au parti de Willy Brandt, profondément ébranlé par un score historiquement bas de 20,5%. Mais c’était sans compter les angoisses du Parti libéral et de son président, Christian Lindner.

Inquiet de constater la trop bonne entente de la chancelière conservatrice et de ses interlocuteurs écologistes, et finalement persuadé de devenir la cinquièmee roue du chariot dans une éventuelle coalition «Jamaïque», ses nerfs semblent avoir lâché. Dans une mise en scène bien préparée, il a déclenché la crise politique actuelle en annonçant son retrait définitif des négociations, au motif que «mieux vaut ne pas gouverner que mal gouverner».

Depuis cette phrase explosive, la situation a totalement changé. «Merkel refuse absolument l'option instable d'un gouvernement minoritaire, qui n'est pas très populaire en Allemagne et qui la mettrait à la merci de ses adversaires. Les deux options restantes sont donc de nouvelles élections ou un changement d'avis du SPD. Mais à part l'AfD, qui se réjouit face à de nouvelles élections à l'issue incertaine ? Personne !», remarque le politologue berlinois Gero Neugebauer.

«Le pays passe avant le parti»

Depuis cette semaine, la phrase de Willy Brandt qui expliquait jadis que «le pays passe avant le parti» a donc refleuri dans les bouches de nombreux sociaux-démocrates, qui ont fait pression sur Martin Schulz pour qu'il abandonne sa position de refus systématique : «Le SPD a peur qu'on l'accuse de mensonge et de faiblesse s'il abandonne sa promesse d'opposition. Mais un tel virage ne serait pas une défaillance, bien au contraire, ce serait l'expression de la responsabilité, une responsabilité que le FDP a refusée», écrivait il y a quelques jours Heribert Prantl, l'éditorialiste en chef du quotidien Süddeutsche Zeitung, exprimant ainsi l'avis de nombreux Allemands.

Reste un obstacle de taille. Le choix d'un retrait «reconstructeur» dans l'opposition est très populaire parmi les 475 000 adhérents du parti et un certain nombre de dirigeants du SPD. «De très nombreuses discussions seront nécessaires avant d'aboutir à une décision, quelle qu'elle soit», a encore précisé Martin Schulz, dont l'avenir à la présidence du parti se jouera lors d'un congrès début décembre.