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Analyse

Paradis fiscaux : liste but not last

Si aucun de ses membres ne figure parmi les dix-sept Etats voyous recensés mardi par l’Union européenne, l’annonce marque tout de même une timide avancée. L’UE promet d’actualiser régulièrement cette liste noire.
Buggiba, à Malte. L’île est considérée comme un paradis fiscal par Oxfam. (Photo Tommaso AUSILI. Contrasto-REA)
publié le 5 décembre 2017 à 20h26

Pour la première fois de son histoire, l’Union européenne s’est dotée, mardi, d’une «liste noire» (1) de «juridictions non coopératives» - c’est-à-dire de paradis fiscaux -, accompagnée d’une «liste grise» de pays placés «sous surveillance». Ça, c’est le côté face, plutôt réjouissant si l’on songe que, jusqu’à présent, seuls dix-huit Etats de l’UE (dont la France) disposaient d’une telle liste et que celle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ne contient qu’un nom, celui de Trinité-et-Tobago… Côté pile, la «liste noire» européenne ne comporte que dix-sept noms (1), leur nombre ayant été réduit à la suite d’intenses tractations diplomatiques entre les vingt-huit ministres européens des Finances. On n’y trouve aucun Etat membre de l’UE qui, à l’évidence, mériterait pourtant d’y figurer.

Cette liste «montre les limites d'un exercice fait par un organe politique», s'emporte l'eurodéputé du Parti populaire européen Alain Lamassoure, ancien président de la commission d'enquête sur les «rescrits fiscaux». Un diplomate français tente de tempérer ces critiques : «Il s'agit d'une première base, ces listes vont évoluer.» Même Eva Joly, eurodéputée écologiste, en convient : elles «offrent le potentiel d'aboutir à des changements dans les pratiques fiscales problématiques de pays tiers». Cet exercice a été lancé par le commissaire européen chargé de la Fiscalité, Pierre Moscovici, à la suite du scandale des LuxLeaks. «Il faut en finir avec cette hétérogénéité et parfois ces complaisances ou ces attitudes compréhensives à l'égard des paradis fiscaux», disait-il ainsi à Libération en avril 2016. En juin 2015, il avait proposé une liste de trente paradis fiscaux en compilant celles des pays de l'UE. Une méthode contestée, puisque celle du Portugal comporte quatre-vingt-cinq noms alors que l'Allemagne n'en reconnaît… aucun.

Sceau de l’infamie

En 2016, Moscovici est revenu à l’assaut à l’occasion de la publication des Panamá Papers, en proposant qu’une liste européenne soit établie à partir de critères communs. Quatre-vingt-douze pays ont donc été passés au crible par les experts des Etats pour déterminer s’ils acceptaient l’échange automatique d’informations (transparence fiscale), respectaient le principe de non-discrimination, notamment en refusant les sociétés offshore (équité fiscale) et, enfin, mettaient en œuvre les mesures de l’OCDE contre l’optimisation fiscale agressive. Au fil des réponses faites par les Etats tiers, et surtout des batailles diplomatiques, chacun défendant ses affidés, la liste noire est passée d’une trentaine de pays il y a quelques semaines à dix-sept mardi. Rien qu’entre dimanche et mardi, le Qatar, le Maroc et le Cap-Vert ont échappé au sceau de l’infamie… Il faut bien voir que la Commission, qui aurait souhaité une liste la plus large possible, n’a été que spectatrice dans cette affaire, qui relève d’une décision à l’unanimité des Etats membres. Et qui dit unanimité dit marchandage.

Cependant, une seconde liste, «grise» celle-ci, de quarante-sept pays a été établie. Il s'agit d'Etats qui ont pris l'engagement de se conformer aux critères européens et sont donc placés sous surveillance. On y retrouve la Suisse, le Maroc, le Cap-Vert ou les îles Caïmans. Les pays les plus développés ont jusqu'à la fin 2018 pour adapter leur législation, les autres disposent d'un an de plus. Enfin, huit petits pays frappés par l'ouragan Irma, en septembre, et qui ont d'autres chats à fouetter que de répondre à l'UE, ont été placés en «réserve» jusqu'au printemps 2018. «Ces listes sont vivantes, elles ne sont pas figées. On va les faire évoluer chaque année afin de les adapter. Certains sortiront de la liste noire, d'autres passeront de la grise à la noire…» explique un diplomate français. La question des sanctions a été renvoyée à plus tard.

«Diversion»

Le Royaume-Uni - bien qu'en voie de sortir de l'UE, il a bataillé pour réduire la liste noire au maximum -, le Luxembourg, Malte, l'Irlande, les Pays-Bas, la Suède, la Lituanie, la Finlande et la Grèce estiment que le simple fait de figurer sur cette liste créera la volonté d'en sortir, puisque l'on est placé sous les feux de la rampe et que l'on risque de faire l'objet de toutes sortes d'enquêtes. D'autres, dont la France, l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Italie, la Roumanie, l'Espagne, le Portugal ou la Slovénie veulent des sanctions plus dures, comme le fait de ne plus être considéré comme un centre financier pour le transfert de fonds européens. Reste, bien sûr, l'absence remarquée de plusieurs pays de l'UE, comme l'Irlande, Malte, les Pays-Bas, le Luxembourg (lire pages 4 et 5) et Chypre, que beaucoup considèrent comme des paradis fiscaux. Mais le vote à l'unanimité impliquait qu'un pays accepte d'être inclus dans la liste noire. Inimaginable… D'autant que, pour Pierre Moscovici, «il n'y a pas de paradis fiscal au sein de l'Union». Un avis que tout le monde ne partage pas, loin s'en faut : «Cette liste est une façon pour l'UE de faire diversion parce qu'elle a échoué à balayer devant sa porte, estime ainsi l'association CCFD-Terre solidaire. Via cette liste, elle peut mettre à l'index des Etats pour des pratiques qui existent en son sein.» Difficile de lui donner tort.

(1) Figurent sur la liste noire : Bahreïn, la Barbade, la Corée du Sud, les Emirats arabes unis, la Grenade, Guam, les îles Marshall, Macao, la Mongolie, la Namibie, les Palaos, le Panamá, les Samoa, les Samoa américaines, Sainte-Lucie, Trinité-et-Tobago et la Tunisie.