Menu
Libération
Jérusalem

Pour Ankara, l’occasion de damer le pion aux Saoudiens

Espérant rendre à son pays le rôle de leader fort du monde musulman, le président turc s’est lancé dans une vaste opération d’opposition diplomatique.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan, le 5 décembre 2017 à Ankara. (Photo ADEM ALTAN. AFP)
publié le 7 décembre 2017 à 20h56

Aux avant-postes de la «fronde» diplomatique anti-Trump : la Turquie et son président, Recep Tayyip Erdogan. «Ô Trump, que fais-tu ?» s'est interrogé le chef de l'Etat turc. Une critique qui s'étend jusque dans les rues d'une quinzaine de villes turques où de petites manifestations ont été organisées mercredi soir, notamment devant l'ambassade américaine à Ankara et le consulat général à Istanbul. Et, fait rare dans le pays, les quatre partis politiques siégeant à l'Assemblée ont signé un texte commun dénonçant la décision de Washington.

«Action commune». Erdogan s'est lancé dans un marathon téléphonique avec ses homologues étrangers : Russie, France, Allemagne, Royaume-Uni, etc. Et même le pape François, Erdogan rappelant que Jérusalem était «aussi un sanctuaire pour les chrétiens». Le président turc a aussi convié les leaders du monde musulman à le rejoindre, mercredi prochain à Istanbul, pour une réunion spéciale de l'Organisation de coopération islamique (OCI), afin «d'organiser une action commune». Une démarche en réalité quasi obligatoire pour Ankara, qui assure actuellement la présidence tournante du groupe, mais qui donnera l'occasion au pouvoir d'améliorer l'image de la Turquie au sein de l'oumma, la communauté des croyants. Une opportunité également pour Erdogan, qui «aspire à ce rôle de leader fort et indépendant du monde musulman», explique le politologue Soli Özel. Une façon enfin de damer le pion à l'Arabie Saoudite, délégitimée par sa proximité avec les Etats-Unis et son rapprochement avec Israël. Pour autant, selon les observateurs, il ne faut pas attendre de déclarations chocs de l'OCI. «Il y aura un consensus sur une déclaration commune demandant aux Etats-Unis de revoir leur position. Mais des décisions plus contraignantes ne sont pas à l'agenda», estime l'ancien ambassadeur Ünal Çeviköz.

Plus tôt dans la semaine, Erdogan assurait que la décision de Trump pourrait avoir de lourdes conséquences. «Cela pourrait aller jusqu'à la rupture de nos relations diplomatiques avec Israël», avançait-il. Pour l'heure, l'hypothèse d'une nouvelle rupture des relations avec l'Etat hébreu, un an et demi seulement après leur dégel, semble peu probable. Depuis 2010 et l'abordage par les forces spéciales israéliennes d'une flottille humanitaire turque à destination de Gaza, qui avait fait dix morts, les relations bilatérales étaient suspendues. A l'été 2016, isolés régionalement et en recherche de nouveaux partenariats énergétiques, les deux pays avaient décidé de relancer leurs liens diplomatiques.

«Héritage». Malgré ce rapprochement, Erdogan multiplie régulièrement les critiques contre l'Etat hébreu, notamment sur la question des lieux saints à Jérusalem. En juillet, alors que des violences éclataient après l'installation de détecteurs de métaux aux abords de l'esplanade des Mosquées, il avait adjuré les Turcs de «protéger» le troisième lieu saint de l'islam. «Pour Erdogan, la Turquie, avec l'héritage de l'Empire ottoman, musulman, ancien maître des lieux saints, a toujours son mot à dire sur la situation à Jérusalem», estime Soli Özel. «Israël est un état souverain et Jérusalem est sa capitale. […] L'époque du sultan et de l'Empire ottoman est révolue », a pour sa part déclaré le ministre israélien des Transports et du Renseignement, Yisrael Katz.